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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/527

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ROMANS CHEVALERESQUES.

ces époques offrent à la mémoire des auditeurs une prise certaine et facile, condition nécessaire du plaisir et de l’intérêt qui s’y attachent. Ce n’est pas par un simple accident, par un pur effet du hasard que tous les monumens poétiques, véritablement primitifs, sont en langage métrique, c’est en vertu d’une loi générale et nécessaire de l’esprit humain.

Il y a, il est vrai, et l’on peut citer, dans quelques littératures, des monumens de poésie qui remontent jusqu’à des temps assez anciens, pour avoir l’air de se confondre avec les compositions primitives du système poétique auquel ils se rattachent. Il y a, par exemple, en scandinave, des chroniques en prose, très poétiques par le fond, et dont la forme elle-même a sa poésie. Telle est la Volsunga-Saga. Mais cette chronique n’a rien d’original : elle n’est que la réunion, que la juxta-position, dans un ordre chronologique, de chants plus anciens véritablement primitifs, et ceux-là sont en vers.

On peut citer encore les romans historiques des Arabes, tel que celui d’Antar, déjà un peu connu en Europe, et une multitude d’autres dont les érudits eux-mêmes connaissent à peine les titres. — Ces romans correspondent véritablement aux épopées des autres nations, et ils sont tous en prose, bien qu’entremêlés de vers. — Mais cet exemple n’est d’aucune autorité dans la question actuelle. — En effet, les fictions dont il s’agit sont toutes de rédaction moderne ; elles appartiennent à ces époques où l’imagination ne fait plus un peu de poésie qu’à grands frais, à tout risque et à tout péril, ou se borne à retourner, à délayer, à paraphraser les anciennes créations poétiques. Tous ces romans arabes tiennent indubitablement à des traditions beaucoup plus anciennes, qui, si elles furent jamais rédigées, durent l’être en langage métrique.

Mais, pour entrer plus directement dans la question que je me suis proposée, je dirai qu’il n’existe, à ma connaissance, aucun roman de Charlemagne ou de la Table ronde, dont on ne puisse s’assurer que la rédaction première, la rédaction originale, n’ait été en vers. On cite, je le sais, et l’on cite depuis bien long-temps des faits qui ont l’air d’être fort contraires à cette