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Clara Gazul, comme la plupart des ouvrages réservés à une longue durée, n’a pas eu à son avènement le retentissement et l’éclat auxquels elle pouvait prétendre. Une seule voix, si j’ai bonne mémoire, osa parler pour elle, et cette voix est la même qui révèle aujourd’hui à la France les merveilles encore inconnues de la littérature scandinave. Quand la critique eut désigné du doigt le mérite incontestable du recueil, le public se rangea sans répugnance à son avis ; puis tout fut dit, ou, pour parler plus nettement, tout fut oublié. Le volume prit sa place dans les bibliothèques, mais il ne se fit aucun bruit autour du succès : ni sifflets ni battemens de main. Il y eut, d’une part, approbation silencieuse, et de l’autre indifférence parfaite.

D’ailleurs il y eut de bonnes gens, ne lésinant jamais sur une crédulité de plus, qui prirent l’éditeur au mot, et s’imaginèrent bravement qu’ils venaient de lire un recueil de comédies espagnoles. La biographie de Clara, placée en tête du volume, les dispensait de l’éloge et de la récrimination. Quelques-uns s’aventuraient jusqu’au blâme, et disaient hardiment : « C’est singulier, c’est bizarre, c’est effronté, c’est d’une crudité impudente. » Mais leur conscience patriotique se rassurait bientôt en s’avouant tout bas : qu’après tout c’était une traduction, probablement fidèle, que Joseph l’Estrange ne partageait pas les principes universitaires sur la nécessité de rendre par des équivalens, et jamais par le mot propre, les expressions et les idées contraires au génie de notre langue.

Ils pardonnaient donc volontiers à l’espiègle Clara de ne pas penser aussi chastement qu’une élève d’Écouen ou de Saint-Denis. Ils n’en auraient pas voulu pour leur fille ou leur femme ; mais, à tout prendre, ils la trouvaient amusante et gaie. Le petit nombre des initiés se prêta de bonne grâce à la mystification, et ne livra pas le mot d’ordre. Quant aux hommes de lecture et d’étude, ils ne crurent pas à propos de soulever un voile aussi transparent.

Et vraiment il fallait une ignorance bien complète, ou une complaisance bien entière, pour croire que Clara était née sur