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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

le même sol et avait respiré le même air que Lope et Calderon. Précisément à cette même époque on publiait, pour la seconde fois et sous une forme meilleure que la première, les chefs-d’œuvre des théâtres étrangers. D’ailleurs le beau travail de Bouterweck avait déjà été traduit précédemment et donnait sur la scène espagnole des renseignemens assez étendus. Wilhelm Schlegel et son Cours de littérature dramatique étaient populaires parmi les lecteurs sérieux. À ces deux sources d’information on pouvait facilement se convaincre, quand bien même on n’eût pas eu le loisir d’étudier les originaux ou les copies que nous en avions, de la différence qui séparait Clara de ses devanciers prétendus.

Ce qui domine, en effet, dans la plupart des ouvrages de la scène espagnole, c’est, pour la composition, une fantaisie capricieuse et vagabonde, souffletant la vraisemblance presqu’à chaque pas, préférant à tout propos l’effet d’une scène à la logique de la fable, et pour le langage, une emphase sonore et solennelle, manquant rarement une tirade, professant pour la réalité des sentimens et des idées un mépris assez hautain, plaçant plutôt la poésie dans les mots que dans la pensée, prodiguant les images et les similitudes, épuisant quelquefois en deux pages toutes les figures de la rhétorique.

Et cependant, malgré tous ces défauts, que l’admiration la plus sincère ne saurait nier, Lope, et surtout Calderon, étonnent constamment par la fécondité des moyens, par la rapidité des incidens, par l’intérêt et la complication de l’intrigue, sauf à trancher le nœud, comme Alexandre, par un coup d’épée. Les comédies et les tragédies jouées à Madrid ressemblent bien plus à des aventures de roman qu’à des épisodes de la vie réelle. Mais aussi on y trouve quelquefois le même plaisir et le même enivrement que dans les contes arabes.

Or, avec un peu de bonne volonté et une médiocre attention, on se serait bien vite aperçu que Clara ne possède aucune de ces qualités. C’est un des esprits les plus français que je connaisse, net, incisif, dialectique, allant droit au but ; son caractère, malgré sa franchise quelque peu masculine, malgré les gros mots