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qui, en passant par sa jolie bouche, ont presque l’air de demander grâce pour la liberté grande, comme le Suisse qui faisait la partie du chevalier de Grammont, n’est pas absolument impossible à Paris même. C’est un bon garçon, j’en conviens ; mais le type n’en est pas tout-à-fait perdu chez nous. Il s’effaçait tous les jours, et menaçait de disparaître, lorsque le goût des voyages, en se popularisant chez les femmes de France, est venu dérider leur front, relever leurs paupières, et donner à leur attitude plus de grâce et de vivacité. Clara, si elle venait dans nos salons, trouverait à qui parler sans se renfermer dans les soirées d’hommes.

Le Théâtre de Clara Gazul marque dans la poésie dramatique la même tentative à-peu-près que le premier et magnifique ouvrage d’Augustin Thierry dans la littérature historique. L’historien et le poète prétendent tous les deux à une réalité complète. Ils veulent donner à l’art qu’ils professent une exactitude et une précision mathématiques. Ils recherchent avec une patience curieuse tous les faits qui se rattachent directement ou indirectement à l’idée qu’ils veulent développer. Ils ne regrettent, pour compléter leur érudition, ni les études courageuses, ni les longues méditations. Puis, quand ils sont bien assurés de posséder leur sujet, ils cherchent, pour le montrer, le jour le plus pur ; ils l’éclairent en plein, mais en même temps ils le disposent de façon à composer des lignes simples, un profil sévère, comme celui d’un camée ou d’une pierre gravée.

Je ne sais rien de plus naturel et de plus nécessaire que la bataille d’Hastings, dans Augustin Thierry, ou que l’entrevue de madame de Coulanges et de don Juan. Mais les pages de l’historien et du poète ne sont pas venues du premier coup à cette naïveté qui fait leur plus grand charme. Avant d’arriver à cette forme définitive, elles ont dû subir, dans le cerveau, ou sur le papier, bien des métamorphoses laborieuses. Avant de dépouiller, comme la fonte, toutes les scories parasites qui les enveloppaient, elles ont été soumises plusieurs fois au foyer dévorant qui décompose pour purifier, et ne respecte que les élémens inaltérables.