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pendant, comme l’art consacre tout ce qu’il touche, comme le crime, si hideux qu’il soit, s’ennoblit et s’élève en se poétisant, on ne saurait nier la beauté de Carvajal.

La Chronique du règne de Charles ix, publiée en 1829, est très supérieure au Théâtre de Clara Gazul par l’achèvement et la réalité des détails. Il n’y a pas un chapitre du roman, pris en lui-même, qui ne soit plus patiemment et plus curieusement étudié que les meilleures scènes des Espagnols et d’Inès. L’illusion poétique est plus complète et plus saisissante.

Après avoir fermé le livre, on garde l’image des caractères et des acteurs plus nettement et plus profondément gravée. Diane de Turgis, la première et la plus belle figure du tableau, est vivante, animée, pleine d’amour et d’énergie ; c’est bien la femme galante du seizième siècle, telle que nous l’a montrée Brantôme dans ses délicieuses biographies, où l’ironie la plus caustique et le dédain le plus amer se déguisent si habilement sous l’apparente bonne foi des anecdotes, comme dans Montaigne et dans Plutarque. Il n’y a qu’une lecture attentive et familière des écrivains du temps qui puisse initier l’esprit le plus incrédule à la vraisemblance d’un pareil type, et en même temps révéler l’esprit fin et l’imagination docile qui ont présidé à la création de l’héroïne qui le représente.

Les premières entrevues de la Turgis et de Mergy, les coquetteries et les aveux de la partie de chasse, le rendez-vous et la veille de la Saint-Barthélemy sont admirables de mouvement et de vérité. Jamais peut-être notre langue n’avait si fidèlement raconté toute la partie visible d’une première passion, la conduite inconséquente et confuse d’un jeune homme qui pour son début entame la lutte avec une femme faite, rompue dès long-temps aux intrigues de toutes sortes, menant l’amour militairement, troublant, quand il le faut, les rôles des deux sexes, comme fait Rossini pour les instrumens et la voix humaine ; abrégeant la défense quand l’assaut n’est pas assez vif ; supprimant, comme un général d’armée, les marches et contre-marches, et offrant du même coup la bataille et la victoire. J’aime, je l’avoue, cette hardie jouteuse qui coupe ses lacets, et renverse les