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HISTOIRE DU TAMBOUR LEGRAND.

logue avant que de se brûler la cervelle. La plupart des hommes profitent dans cette occasion de celui d’Hamlet, être ou n’être pas. C’est un bon passage, et je l’aurais volontiers cité ici. — Mais chacun se préfère, et quand on a écrit, comme moi, des tragédies où se trouvent de tels discours de sortie de la vie, comme, par exemple, dans mon immortelle tragédie d’Almanzor, il est bien naturel qu’on donne la préférence à ses propres vers, même sur ceux de Shakespeare. Dans tous les cas, ces sortes de sermons sont un usage très louable. On gagne au moins du temps par là. C’est ainsi que, récitant mon monologue en vers, je m’arrêtai quelque temps au coin de la Strada San Giovanni, et lorsque j’étais là comme un criminel, condamné à mourir, tout-à-coup je la vis venir !

Elle portait une robe de soie bleu de ciel, et son chapeau rose ; et ses yeux me regardaient si doucement, son regard chassait si bien la mort, il donnait si bien la vie ! — Madame, vous avez lu dans l’histoire romaine que, dans la vieille Rome, lorsque les vestales rencontraient sur leur chemin un criminel que l’on conduisait au supplice, elles avaient droit de lui faire grâce, et le pauvre malheureux conservait sa vie. — D’un seul regard elle m’avait sauvé de la mort, et j’étais devant elle, animé d’une nouvelle existence, et comme ébloui de l’éclat de sa beauté. Elle passa et me laissa vivre.


Elle me laissa vivre et je vis, et c’est l’affaire principale.

Que d’autres jouissent de la pensée que leur bien-aimée viendra orner leur tombeau de fleurs et l’arroser de leurs larmes. — Ô femmes ! haïssez-moi, riez de moi ; baffouez-moi, mais laissez-moi vivre. La vie est trop follement douce, et le monde est si agréablement sens dessus dessous ! C’est le rêve d’un dieu pris de vin, qui s’échappe, à la française, du banquet divin, et s’en va dormir dans une étoile solitaire, ignorant qu’il a créé tout ce qu’il vient de rêver ; et les images de son rêve se présentent, tantôt avec une extravagance incroyable, tantôt harmonieuses et raisonnables. L’Iliade, Platon, la bataille de Marathon, la Vénus de Médicis, le Moustier de Strasbourg, la révolution française, Hégel, les bateaux à vapeur, sont de bonnes pensées détachées de ce grand rêve du dieu ; mais elles ne dureront pas long-temps. Le dieu se réveillera : il frottera ses