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HISTOIRE DU TAMBOUR LEGRAND.

madame, qu’un galant Brahmine (il ressemblait à Ganera, le dieu à la trompe d’éléphant, monté sur une souris) vous fit un jour ce compliment : « La divine Manéca, lorsqu’elle descendit de la cité d’or d’Indrah auprès du pêcheur royal Wiswamitra, n’était certainement pas plus belle que vous, madame. »

Vous ne vous en souvenez plus ! trois mille ans se sont à peine écoulés depuis que cela vous a été dit, et les jolies femmes d’ordinaire, n’oublient pas si vite un tendre compliment.

Quoi qu’il en soit, le costume indien sied mieux aux hommes que le costume d’Europe. Ô ! mes pantalons de Delhi, mes pantalons couleur de rose, semés de fleurs de lotus. Si je vous avais portés lorsque j’étais aux genoux de la signora Laura et que je la suppliais de m’aimer, le précédent chapitre eût fini autrement. Mais hélas ! je portais alors des pantalons couleur de paille, qu’un Chinois à jeun avait tissus à Nanking. Ma perte y était écrite. Je fus malheureux.

Souvent un jeune homme est assis à la table d’un petit café allemand, il boit tranquillement sa tasse de café, et pendant ce temps, dans le vaste empire de la Chine, pousse et fleurit son malheur ; on le tisse, on le teint, et en dépit de la grande muraille, il trouve son chemin jusqu’au jeune homme qui le prend pour un pantalon de nanking, qui le passe innocemment, et qui devient malheureux pour le reste de sa vie. Ainsi, madame, le malheur peut atteindre l’homme sans qu’il s’en doute. Le pauvre homme, il va, il vient, il siffle, il chante, tra la la, tra la la, la la.

Le pauvre homme !


— Elle était aimable et il l’aimait ; mais lui, il n’était pas aimable, et elle ne l’aimait pas.
(Ancienne pièce de théâtre.)


— Et c’est à cause de cette histoire que vous avez voulu vous brûler la cervelle ?

— Madame, lorsqu’un homme veut se brûler la cervelle, il a toujours des raisons, vous pouvez le croire ; mais connaît-il lui-même ces raisons ; c’est là une question. Jusqu’au dernier moment, nous jouons la comédie avec nous-mêmes. Nous masquons