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UN SOUVENIR DU BRÉSIL.

entendre ; aussi, je ne compris pas un mot de ce qu’ils se disaient, mais, comme Dieu m’entend, ces animaux-là ont une manière d’exprimer ce qu’ils sentent, qui vaut bien la nôtre. Il faut, senhor, que Satan, qui les a mis au monde, leur ait soufflé dans le corps un peu du feu qui lui est tombé en partage. Je crois cependant qu’il ne s’était rien passé à mon préjudice, car elle le repoussait et pleurait. Je voulus m’élancer sur Cupidon, mais il venait de me voir ; il prit la fuite, et en un clin-d’œil je le perdis de vue. Alors je ne fis pas ce que vous pensez ; la négresse ne reçut pas le châtiment qu’elle avait pourtant bien mérité. Je ne sais, en vérité, où j’avais la tête dans ce moment-là ! J’étais furieux au fond, mais je me sentais en même temps disposé à lui pardonner. Je la mis dans une autre chambre, et je ne la perdis de vue ni jour ni nuit.

Cupidon revint à la charge, comme vous pouvez le croire : je l’y attendais, et après l’avoir manqué plusieurs fois, quatre vigoureux nègres que j’avais apostés depuis l’aventure, parvinrent à s’en emparer dans une de ses visites nocturnes : ma foi, il paya pour deux, c’était trop juste. Après qu’il eut passé par les mains du vieil Antonio, je le mis aux fers dans sa case. Croiriez-vous que lorsque j’allais tous les huit jours savoir de lui s’il voulait devenir plus raisonnable, ce misérable-là me demandait, pour toute réponse, la petite négresse en mariage, me disant qu’elle était de sa nation, qu’il n’en prendrait jamais d’autre, qu’il serait plus soumis qu’auparavant, si je la lui donnais, et cent autres raisons de nègre. Je fis peut-être alors une sottise : j’aurais dû la lui donner, et les envoyer tous deux au diable ; mais, comme je vous l’ai dit, j’avais alors la tête de travers ; qui n’aurait été piqué à ma place de trouver de la résistance chez une esclave ? Cependant, au bout de trois mois, Cupidon s’ennuya de rester cloué au même endroit, et demanda sa liberté, en me promettant tout ce que je voulus. Je ne demandais pas mieux ; il y avait assez long-temps que je le nourrissais sans qu’il travaillât. Mais, senhor, ce n’était plus mon meilleur nègre comme autrefois : je ne l’entendais plus chanter en tête des autres, en allant à l’ouvrage ; il ne dansait plus le dimanche