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ROMANS DE LA TABLE RONDE.

la donner ici comme une conjecture qui se présente d’elle-même à la suite de ce que j’ai dit de l’opposition de la chevalerie du graal avec cette chevalerie mondaine qui avait pour principe la galanterie et le culte des dames.

Cette fable romanesque du graal, inventée par les romanciers du continent, passa, comme toutes les autres fables chevaleresques, dans la Grande-Bretagne, où elle fut remaniée, modifiée et localisée par les romanciers anglo-normands. Donner une idée des altérations qu’elle subit, des développemens qu’elle prit dans ces énormes romans en prose du graal, de Lancelot-du-Lac, de Perceval, de Merlin l’enchanteur, serait une tâche proportionnée à la dimension colossale de ces mêmes romans, et par conséquent effrayante. Heureusement je n’ai besoin que de considérer ici, d’une manière très générale, l’esprit et la tendance morale de ces compositions. Or, tout ce que j’ai dit des premiers romans du graal est encore plus manifeste dans celles-ci. — On y trouve beaucoup plus de développemens religieux, plus d’exaltation mystique, plus de marques d’une influence toute sacerdotale. Enfin, l’idée, le plan d’une chevalerie opposée à la chevalerie mondaine y sont encore plus apparens et plus formels. Ils ressortent, pour ainsi dire, de tous les détails de la fiction. Les deux chevaleries rivales y sont constamment en regard et en opposition ; elles sont mises en lutte dans la quête du graal, objet commun de toutes les poursuites chevaleresques. Or voici en quels termes l’objet et l’issue de cette lutte sont énoncés dans un passage du roman du Graal, que je vais mettre en français moderne.

« Là où Dieu enverra le graal (c’est-à-dire dans la Grande-Bretagne), là seront manifestées les merveilles et les grandes prouesses des chevaliers de Jésus-Christ. Là seront découvertes les (vraies) chevaleries, et les chevaleries terrestres seront changées en célestes. »

C’est particulièrement dans le roman de Lancelot que l’on trouve les deux chevaleries rivales désignées par les dénominations de céleste et de terrestre, ou de terrienne et de célestienne, dans la langue du romancier. C’est pour être entaché d’amour,