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c’est pour avoir mis tous ses desirs et toutes ses pensées dans la reine Genièvre ; en somme, c’est pour être chevalier terrien, que Lancelot s’épuise en vain à la recherche du graal : la découverte du saint vase et de ses grands mystères est réservée à des chevaliers purs de tout péché, à des chevaliers célestiens. C’est en ces deux termes que se résument perpétuellement toutes les différences entre les deux chevaleries, et il était impossible d’en caractériser plus fortement l’opposition. Cette opposition est expliquée et développée de tant de manières et en tant d’endroits, que n’en pouvant citer plusieurs, j’éprouve quelque embarras à en citer un de préférence. Toutefois en voici un fort court qui peut tenir lieu de beaucoup d’autres, et dans lequel est décrite allégoriquement la lutte des deux chevaleries. Je ne ferai que moderniser un peu la diction de ce passage.

« L’autre jour, jour de la Pentecôte, les chevaliers terrestres et les chevaliers célestes commencèrent ensemble chevalerie : ils commencèrent à combattre les uns contre les autres. Les chevaliers qui sont en péché mortel, ce sont les chevaliers terrestres. Les vrais chevaliers, ce sont les chevaliers célestes, qui commencèrent la quête du saint graal. Les chevaliers terrestres, qui avaient des yeux et des cœurs terrestres, prirent des couvertures noires, c’est-à-dire qu’ils étaient couverts de péchés et de souillures. Les autres, qui étaient les chevaliers célestes, prirent des couvertures blanches, c’est-à-dire virginité et chasteté. »

Je ne crois pas avoir besoin d’insister davantage sur la démonstration de l’idée fondamentale de tous ces romans en prose du cycle du saint graal ; elle est évidemment et de tout point la même que celle des plus anciens romans de ce cycle, dont j’ai parlé d’abord. L’objet commun des uns et des autres est de célébrer une chevalerie opposée à la chevalerie libre et mondaine du siècle, une chevalerie religieuse, austère, chrétienne, telle que le clergé l’avait d’abord voulue, et la voulait encore.

Maintenant, les ecclésiastiques avaient-ils une part directe à la composition de ces romans ? C’est une question qui se présente assez naturellement, mais à laquelle il est difficile de ré-