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LE CAPIDJI-BACHI.

salut, comme le criminel aux colonnes du temple qui le protége contre la vengeance des lois.

— Mustapha-Bey, asseyez-vous, dit le visir au capidji.

Mustapha porta la robe du pacha à sa bouche et à son front, se mit à genoux devant le divan sur le tapis de la salle, et attendit en silence les ordres du lieutenant impérial.

Le visir reprit la pipe qu’il avait laissé glisser sur le divan, ralluma son tabac, qui ne conservait plus qu’une parcelle de feu près de s’éteindre ; avala trois gorgées de fumée, puis regarda en silence le capidji. Enfin il lui dit :

— Avez-vous cru qu’un capidji n’avait qu’à orner les beyrams d’un riche costume de plus, qu’il n’avait d’autre devoir que de se montrer à la Porte et solliciter des faveurs pour des amis reconnaissans ?

— Seigneur, répondit Mustapha, alarmé d’un pareil début, la Sublime-Porte n’a pas daigné depuis long-temps jeter les yeux sur le malheureux qui jouit à cette heure de votre glorieuse présence.

— Je ne vous adresse pas de reproches ; mais répondez. Avez-vous réfléchi à tous les devoirs que le titre de capidji vous impose ? Savez-vous qu’il en est un surtout, terrible, inexorable ? Savez-vous à quelles conditions subsiste intact le brillant empire d’Osman ? Avez-vous entendu dire que la Sublime-Porte ne peut pas toujours punir les traîtres à la face du soleil, que, pour le maintien de notre sainte religion, il faut souvent des coups portés dans l’ombre ? Enfin, quand une pareille mission devient nécessaire, savez-vous que c’est à un capidji qu’on la confie ?

— Je le sais, répondit Mustapha avec assurance.

— Mais savez-vous encore qu’on meurt souvent d’une pareille mission ? Il faut réussir ou payer de son sang un coup manqué.

— Seigneur, la Sublime-Porte n’a qu’à parler. Eût-elle condamné le schérif de la Mecque, ou bien le scha de Perse, dans deux mois ils n’existeront plus.

— Non, c’est un esclave infidèle du sultan qu’il faut frapper ; c’est Ahmed, pacha d’Alep.

Mustapha frémit et se contint.