fashionable, qui la passe avec grâce à une vieille socinienne en lunettes. Ce serait un horrible scandale pour nous que cette légèreté sur des sujets si graves ; c’est une chose toute simple en Amérique, où cette légèreté n’est que du bon ton, et n’exclut ni la foi, ni le zèle. Ainsi la liberté a produit du même coup en Amérique le fanatisme et la tolérance. La dispute dédommage de la persécution ; polie dans les salons, elle est ardente et sombre dans les chaires, les meetings et les livres. Elle parcourt incessamment le territoire de la république et le ravage comme une fièvre. Des milliers de prêtres ambulans la portent partout, dans les villes, dans les villages, et jusque dans les bois ; le jour, la nuit, à toute heure, en tout lieu, elle retentit à côté de la dispute politique ; il n’y a pas plus d’asile contre l’une que contre l’autre ; et qui veut vivre en paix doit se boucher les oreilles ou fuir l’Amérique. C’est la seule liberté dont on n’y puisse jouir ; toutes les autres conspirent à vous l’ôter.
On se tromperait, toutefois, si l’on s’imaginait que ces deux fièvres de la politique et de la religion travaillent simultanément et avec la même violence toutes les parties de la population américaine : ce serait trop de moitié pour la constitution la plus robuste. La politique et la religion suffisent chacune et au-delà, pour absorber notre débile intelligence ; et quand l’une l’envahit, l’autre ne saurait y conserver une grande place. Dans les monarchies et les aristocraties, le peuple a le loisir d’être religieux et il l’est ; l’irréligion ou l’indifférence sont le privilége des nobles qui gouvernent. Dans les démocraties, le peuple gouvernant lui-même, la politique l’absorbe, et la religion n’a plus sur lui qu’une faible prise. Mais cela n’est vrai que des hommes qui seuls gouvernent, et ne saurait l’être des femmes, enveloppées par la démocratie dans le même délaissement que la religion, et toujours d’autant plus amoureuses de Dieu qu’elles sont plus négligées des hommes. De là aux États-Unis ce singulier phénomène exprimé et résumé par mistress Trollope dans cette phrase concise : « Je ne sache pas un pays où la religion ait tant d’empire sur les femmes et si peu sur les hommes. » La partie mâle de la population, ayant des lois à faire