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MŒURS DES AMÉRICAINS.

et à défaire, des magistrats à nommer et à révoquer d’un bout à l’autre de l’année, continuellement préoccupée de candidatures, de réformes et de dollars, n’a point le temps de songer beaucoup à Dieu, et ne saurait offrir aux passions religieuses et aux prêtres la matière première qui leur convient. Mais précisément à cause de cela, les femmes sont admirablement disposées à recevoir leur empire et à le subir complètement. Délaissées de leurs maris, exclues des affaires, que voulez-vous que les Américaines fassent de leur cœur et de leur temps ; elles les donnent à Dieu, et elles font bien. D’ailleurs les plaisirs sont chose rare dans les démocraties ; ils suivent et supposent les arts, qui suivent et supposent le loisir et la stabilité. Les Américains sont tristes et ne s’amusent jamais : ils dédaignent le théâtre, ils méprisent le bal et les soirées. De toutes les distractions connues, ils n’aiment que le jeu, qui est encore un calcul. Quand ils ont célébré officiellement l’anniversaire de leur indépendance, l’anniversaire de la naissance de Washington, et deux ou trois autres anniversaires tout aussi respectables, les voilà bien ; ils ont de la joie pour un an. Aussi toutes les réunions de plaisir que nous avons en Europe manquent ou sont peu goûtées en Amérique. Et cependant, comme le dit mistress Trollope, il faut bien aux femmes quelques distractions, et qu’elles aient un lieu où se montrer, elles et leurs rubans. Le temple est ce lieu-là ; le temple c’est l’Opéra, c’est la salle de bal, c’est le salon d’exposition, c’est le jardin des Tuileries des Américaines ; le temple est le débouché de toutes leurs vanités. Ajoutons qu’entre Dieu et elles se placent les prêtres, que ces prêtres sont des hommes, que parmi ces hommes il en est de jeunes et de beaux ; que ne régnant que par les femmes, ils leur accordent cette considération, ces attentions, cette importance dont elles sont si avides et que les habitudes démocratiques leur refusent ; ajoutons enfin que la division infinie des sectes, leurs rivalités, leurs jalousies, leur ambition de dominer, et jusqu’à la subtilité des dogmes qui les divisent, ouvrent un vaste champ à l’activité de détail, à l’esprit d’intrigue et de coterie, à la finesse et au savoir faire, à tous les défauts en un mot et à toutes les qualités