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MŒURS DES AMÉRICAINS.

décrire. Chaque jour les ramène avec une parfaite uniformité. Qui connaît l’une de ces représentations les connaît toutes.

« Nous étions au milieu de l’été ; mais le service auquel on nous avait priés d’assister ne devait pas commencer avant la nuit. Le temple était bien éclairé, et il y avait un concours de monde à n’y pas tenir. Nous aperçûmes, en entrant, trois prêtres debout et rangés côte-à-côte dans une espèce de tribune, élevée à l’endroit où se trouve ordinairement l’autel ; cette tribune, qui ressemblait aux chaires de nos temples, était ornée de tapis cramoisis ; nous prîmes place sur un banc qui se trouvait tout auprès de la balustrade qui l’entourait.

Le prêtre qui était au milieu priait ; la prière était d’une extravagante véhémence et d’une familiarité d’expression choquante. Après la prière il chanta un hymne, et ensuite un autre prêtre se mit au milieu et commença à prêcher. Il déploya dans son sermon une éloquence rare ; mais le sujet qu’il avait choisi était affreux. Il décrivit avec une excessive minutie les derniers et tristes momens de la vie humaine ; ensuite il peignit les changemens affreux que le corps subit graduellement après la mort, et il arriva au tableau de la décomposition. Tout-à-coup le ton de son discours, qui jusque-là avait été celui d’une description exacte et simple, changea ; il fit entendre une voix aigre et perçante, et penchant la tête en avant, comme pour fixer ses regards sur un objet qui se trouvait au-dessous de la tribune, il donna à entendre à l’auditoire qu’il voyait la terre ouverte devant lui : c’était, comme on voit, une heureuse invention pour frapper les imaginations faibles par la description de l’enfer. De toutes les images que peuvent fournir le feu, la flamme, le soufre, le plomb fondu, les fourches rougies faisant palpiter des nerfs, des membres, des chairs, aucune ne fut oubliée par le prédicateur. Il suait à grosses gouttes ; ses yeux roulaient avec horreur ; ses lèvres étaient couvertes d’écume, et chacun de ses traits respirait la profonde terreur qu’il aurait ressentie, s’il eût réellement été témoin de la scène qu’il décrivait. Le jeu de l’acteur fut parfait. Enfin il jeta sur ses deux assistans à droite et à gauche un regard languissant où se peignait sa fai-