Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
276
REVUE DES DEUX MONDES.

gardée, et les assaillans, en trop petit nombre, sont bientôt repoussés.

« Leur chef Datus s’était fait remarquer parmi eux par sa valeur, par l’éclat de son armure et par la rare beauté de son cheval, richement sellé et harnaché. Un Maure qui, du haut d’une tourelle, l’a bien regardé, lui adresse ainsi la parole : Dis-moi, jeune et beau chrétien, qu’es-tu venu faire ici ? Es-tu venu chercher, es-tu venu racheter ta mère ? Tu le peux aisément, si tu veux : donne-moi ton beau cheval, sellé et harnaché comme il l’est, et ta mère va t’être rendue, avec tout le butin que nous avons fait sur toi. Mais si tu refuses, tu vas voir ta mère égorgée sous tes yeux. »

Datus ne crut pas la proposition ni la menace sérieuses, ou peut-être les prit-il pour une insulte. Quoi qu’il en soit, il y répondit avec démence : « Fais de ma mère ce que tu voudras, méchant Maure ; je ne m’en soucie nullement. Mais ce cheval qui te fait envie, ce bon cheval ne sera jamais le tien : tu n’es pas digne de lui toucher la bride.»

« Là-dessus, le Maure disparaît et reparaît en un clin d’œil, amenant sur le rempart la mère de Datus. Là, le furieux, après avoir coupé les deux mammelles à la vieille femme, lui abat la tête qu’il jette à Datus, en lui criant : Eh bien donc ! garde ton beau cheval, et reçois ta mère sans rançon ; la voilà ! » À cette vue et à ces paroles, Datus, saisi d’horreur, va, vient et s’agite par la campagne, tantôt pleurant, tantôt criant, comme un homme hors de lui. Il passe plusieurs jours dans cette frénésie, et n’en sort que pour tomber dans le plus sombre abattement. » — C’est alors qu’il forme la résolution de passer le reste de ses jours dans la solitude et la pénitence, et qu’il fait bâtir l’ermitage destiné à devenir le monastère de Conques.

Ce récit se trouve, avec toutes ces circonstances et tous ces détails, dans une biographie de Louis-le-Débonnaire, écrite en vers latins par un moine aquitain, connu sous le nom d’Ermoldus Nigellus, qui vivait au ixe siècle. C’est un ouvrage très-curieux, et bien qu’en vers, purement et simplement historique.