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silence dont il se dédommageait chaque soir dans son salon par un débordement de plaintes amères et violentes, contre ce pouvoir qui ne savait pas rallier à lui les hommes les plus disposés à le sauver de sa ruine inévitable et prochaine.

Le temps n’était plus où on l’avait vu rentrer dans son cabinet après une séance de la Chambre, dans laquelle il avait excité le plus grand enthousiasme par un discours contre les plans financiers de M. de Villèle, et là, ivre de joie, d’orgueil et de bonheur, se livrant à toute la fougue d’un jeune homme, trépigner de plaisir, prendre sur son bureau les cahiers du budget, les mettre en pièces, et faire voler les feuillets au feu, en s’écriant que c’était ainsi qu’il venait de traiter, aux yeux de la France entière, le ministère et la loi des comptes. Ce temps était bien loin. Il ne sortit de son apathie que pour attaquer encore une fois M. de Villèle sur les finances d’Espagne ; c’est cette discussion que Benjamin Constant termina avec ce ton d’humour qu’il savait prendre si à propos, en disant à un orateur de la droite, qui prétendait que nous devions de la reconnaissance à l’Espagne pour la manière dont elle nous avait reçus : « Il se peut que l’Espagne nous ait rendu un service, mais c’est tout ce qu’elle nous rendra jamais. »

C’est dans cette disposition que la révolution de juillet surprit Casimir Périer. Jugez des sentimens contradictoires qu’il éprouva lorsqu’il se trouva placé, en vue de tous, entre le peuple et Charles x, entre ses professions de foi de quinze ans à la tribune et ses craintes secrètes des deux dernières années, à la veille de perdre en un moment, s’il hésitait encore, les restes de son ancienne popularité, à se voir obscurci, écrasé par ses collègues plus démocrates, lui qui était accoutumé à briller et à marcher devant les autres ! Je sais un homme qui assista à tous ces retours, qui se fit observateur attentif de toutes les impressions diverses auxquelles il fut livré pendant plusieurs heures. Le combat fut terrible ! Enfin il porta, en gémissant, le dernier coup au gouvernement qu’il eût voulu sauver, et il alla se jeter parmi les hommes de l’Hôtel-de-Ville.

Casimir Périer, ainsi que beaucoup d’hommes illustres, ressemblait au Félix de Polyeucte, qui a des mouvemens généreux, qui en a de pitoyables, qui en a de bas. Il avait contre M. Laffitte une de