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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

à dépenser, qu’on ne manquait pas de lui faire tous les honneurs des grandes journées, ce qui ne contribuait pas peu à le maintenir dans son excitation.

C’est, il faut le dire, que déjà long-temps avant la chute de la restauration, Casimir Périer avait besoin d’un stimulant actif ; c’est qu’une grande partie de ses illusions était déjà détruite, et qu’il commençait à craindre justement que cette royauté, qu’il démolissait avec tant de furie, n’entraînât avec elle la puissance et la prospérité bourgeoises, sur lesquelles, bien malgré elle, on l’avait assise. Pendant bien long-temps, Casimir Périer, qui vivait en grand seigneur, et qui dédaignait de communiquer avec tout ce qui ne faisait pas partie de sa petite cour ou qui ne se rattachait pas à ses liaisons parlementaires, Périer ignora ce qui se passait autour de lui, presque aussi complètement que Charles x, au fond de son château, au milieu de ses courtisans et de ses compagnons de chasse. Enfin, cependant, il fallut bien lui dire que l’on conspirait en dehors de la Chambre ; car plusieurs de ses collègues les plus influens, un grand nombre de ses compatriotes et de ses plus anciens amis, plusieurs de ses parens même, faisaient partie des ventes des carbonari. Cette révélation fut un coup de foudre pour Périer. Ce n’était pas qu’il craignît les dangers d’une conspiration. C’était une âme hardie et bien trempée, et ceux qui l’ont accusé de lâcheté n’ont pas eu occasion de le connaître. Il ne craignait pas non plus une révolution, car personne dans l’opposition n’était plus hostile à l’ordre politique alors établi ; mais quand il apprit que, dans chacune de ces associations, on émettait des déclarations de principes qui menaient droit à la démocratie la plus pure ; quand il sut que les ventes ne reconnaissaient pas la hiérarchie sociale telle qu’il l’entendait, que les députés, les hommes riches et marquans, y étaient souvent rangés au-dessous d’un simple commis, d’un sergent, et des hommes les plus obscurs et les plus bas placés selon lui, il vit à quels principes ses discours et ses travaux politiques allaient ouvrir une libre carrière ; il fut effrayé de ce flot populaire devant lequel on allait retirer les digues, et il refusa net de participer à ces associations. Dès-lors son opposition et sa parole hautaine faiblirent chaque jour davantage, et il prit le prétexte du mauvais état de sa santé pour garder à la Chambre un