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REVUE DES DEUX MONDES.

Puis, partout le silence, et l’onde vainement
Bat, dans le port, le dos de quelque bâtiment.
On n’entend plus gémir sous leurs longues antennes
Les galères partant pour les îles lointaines,
La voix des grands chantiers n’éveille plus d’échos,
Et le désert lui-même est au fond des cachots.
Voilà pour le dehors : au dedans la tristesse,
À tous les seuils branlans, s’assied comme une hotesse ;
Les palais démolis pleurent leurs habitans,
La famille s’écroule, et comme au mauvais temps
Les oiseaux du bon Dieu, manquant de nourriture,
Volent aux cieux lointains chercher de la pâture ;
Les jeunes gens ne font usage de leurs piés
Que pour abandonner leurs parens oubliés.
Alors tout ce qui touche à la décrépitude
S’éteint dans l’abandon et dans la solitude ;
Et la vieillesse pauvre ici comme partout,
N’inspire à l’être humain que mépris et dégoût,
Enfin, Venise, au sein de son Adriatique,
Expire tous les jours comme une pulmonique ;
Elle est frappée au cœur et ne peut revenir.
Les guerres ont tué son royal avenir,
Et pour toujours sevré sa lèvre enchanteresse
Du vase d’Orient que lui tendait la Grèce.
Alors, bien qu’il lui reste une rougeur au front,
Dans ses flancs épuisés nulle voix ne répond
Pour dominer les flots et commander le monde.
Sa poitrine n’est plus assez large et profonde ;
C’en est fait de Venise, elle manque de voix :
L’homme et les élémens l’accablent à la fois ;