Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

vie. Il arriva dans la Chambre, où sa présence produisait toujours un certain effet, couvert d’une longue redingote grisâtre, semblable au vêtement historique de Napoléon, jeta d’un geste menaçant son portefeuille sur son pupitre, et se croisa les bras d’un air de résignation comme pour défier ses ennemis de venir jusqu’à lui. Son air était si imposant, que sa petite cour, qui venait d’ordinaire lui faire cortége à son entrée, resta immobile sur ses places, et que M. Thiers lui-même, qu’on voyait voltiger sans cesse autour du banc des ministres, s’arrêta à moitié de la route. Au silence que garda l’opposition, je me souviens du mot d’un des ennemis les plus intimes de Périer, qui le visitait alors chaque jour, et disait à ceux qu’il voyait rire du premier ministre : « Croyez-moi, cet homme n’est pas moquable. » En effet, on n’était pas plus digne, même dans les plus grands excès de la colère. Cette fois surtout, il se montra plein de noblesse. Plusieurs fois, il quitta son banc et sortit pour aller donner des ordres, car l’émeute grondait au dehors, et à chaque moment des officiers d’ordonnance apportaient des nouvelles inquiétantes. Je sortis aussi pour le voir. Il était nuit déjà, et je le trouvai dans l’enceinte extérieure pressant la main de plusieurs officiers de la garde municipale et de grosse cavalerie qui l’entouraient, et leur disant d’une voix forte : « À la vie et à la mort, messieurs ! c’est notre affaire à tous. On ne nous épargnerait pas plus les uns que les autres ! » Vous jugez de la réponse. Ce fut un bruit de sabres et d’éperons, un cliquetis d’armes et de juremens, qui ne présageaient ni de la clémence ni de la modération. Mais la violence du premier ministre était si communicative, qu’elle avait passé dans ses orateurs, dans ses journalistes, jusque dans ses commis, et du 13 mars, jour de son avénement, datent cette polémique brutale, ces façons hargneuses et méprisantes du pouvoir, qui ont certainement amené les évènemens du 7 juin dernier et conduit, par une pente bien naturelle, aux tribunaux militaires, aux proscriptions et à l’état de siège. Tant la machine est encore ébranlée des coups de pied que lui donnait Périer dans sa colère !

Après avoir encouragé ses soldats de la rue, le ministre revint ranimer l’ardeur de ses troupes de la Chambre, qui paraissaient passablement consternées. Il fallut qu’il montât lui-même à la brèche pour donner l’exemple ; mais l’indignation l’avait saisi si