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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/255

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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

de leurs auteurs ; elle est celle de tous les opprimés, de tous ceux qui peuvent l’être, de tous ceux qui ont besoin de la publicité, pour se garantir de l’arbitraire. Et ne croyez pas que les journaux nécessaires aux individus soient moins utiles à la tranquillité publique. Ne prenez pas pour un péril, l’agitation apparente qu’ils causent, agitation légère, quoi qu’on en dise.

« Ce prétendu péril est une sauvegarde. L’irritation mal fondée s’évapore par l’indifférence qu’au bout de quelques heures elle rencontre dans l’opinion. L’irritation fondée se calme par l’espoir du redressement. J’en atteste la paix actuelle de la France, et certes si aujourd’hui la France est tranquille, l’exemple est décisif. Jamais ministère prit-il plus à tâche de contrarier ses vœux, de flétrir ses espérances, et de blesser jusqu’à ses souvenirs ? Ce qui menace la tranquillité, c’est l’ignorance des faits, ce sont les craintes qu’au sein du silence on ne peut apprécier. Rien n’accrédite plus les faux bruits que le silence. Mais, dit-on, les journaux aussi les répandent et les accréditent. Les journaux, comme toutes les choses humaines, ont leurs inconvéniens. Je les ai de tout temps reconnus plus que personne. L’on a cité à cette tribune et l’on citera peut-être encore ce que j’en ai dit. Je ne désavoue rien ; mais je défie ceux qui veulent bien recueillir mes paroles, d’en rapporter une qui attaque en rien la liberté des journaux. Je déteste la diffamation et la calomnie. Je n’aime point l’exagération dans les attaques contre le pouvoir. Mais je dois le dire : ce qu’on prend pour l’effet des journaux sur l’opinion n’est le plus souvent que l’effet des mesures que les journaux blâment. Ils expriment l’opinion, ils ne la font pas. S’ils l’exprimaient mal, nul ne les lirait. Quand on menace quarante mille ouvriers de leur enlever le pain de leurs familles, que font les journaux ? Ils disent qu’on a tort de menacer quarante mille ouvriers de leur enlever le pain de leurs familles. Mais croit-on que ces ouvriers avaient besoin des journaux pour être avertis que, si telle loi passe, ils n’auront pas de pain ?

« Une réflexion m’a souvent frappé. Supposez une société antérieure à l’invention du langage, et suppléant à ce moyen de communication facile et rapide par des moyens moins faciles et plus lents. La découverte du langage aurait produit dans cette société