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un doctrinaire avait l’oreille des diplomates étrangers, un doctrinaire s’étant emparé du droit de lui faire ses discours, un autre, élève de celui-ci, s’était installé dans les fonctions de secrétaire général et tenait la correspondance des départemens. Les divisions ministérielles de la Chambre ne manœuvraient que sur les ordres de M. Guizot, de M. Rémusat et de M. Royer-Collard, le grand chef invisible. Enfin, la doctrine était son ombre, ou plutôt l’ombre de Banco qui le poursuivait sans cesse. Sa mort a tout expliqué ; il avait prévu tout ce qui devait arriver.

Casimir Périer succomba au tourment que lui causait le sentiment de son impuissance et à la douleur de se trouver lui-même au-dessous de sa situation, car il sentait bien que ce pouvoir qu’il avait tant désiré, le lui eût-on laissé tout entier, il n’aurait pas pu en faire un utile usage. En effet, dans ses relations diplomatiques, il était arrêté à chaque pas par une ignorance des hommes et des choses, peu commune dans sa situation ; en administration, il ne connaissait ni les lois, ni la nature des rapports entre les divers fonctionnaires, ni le mécanisme des rouages du gouvernement ; et alors, au lieu d’apprendre et de s’instruire, il ne savait que s’irriter et se raidir contre les obstacles. Il n’est pas d’organisation humaine capable de résister long-temps à un combat de cette espèce. Battu, écrasé par ses souffrances secrètes et ses douleurs avouées, Casimir Périer sentit son intelligence s’arrêter, et le lit de misère où il alla tomber ne reçut qu’un corps où la vie avait survécu à la raison. Quelle longue et cruelle agonie fut la sienne ! Agonie plus cruelle encore pour sa famille et ses vrais amis, que pour lui-même ! Quand, à de rares intervalles, une lueur d’intelligence vint le ranimer, on vit trop bien quelle avait été la plus constante de ses préoccupations ; il fallut s’abstenir alors de prononcer devant lui certains noms, de laisser approcher certaines personnes. À le voir se dresser avec majesté sur sa couche, à voir ses yeux brillant encore dans leur orbite éteint, et couronnés par deux larges sourcils noirs, ses cheveux blancs, sa longue et belle figure, jaunie et sillonnée par ses maux ; à l’entendre laisser échapper des reproches sans suite, vous l’eussiez pris pour l’infortuné roi Léar, s’écriant dans sa démence :

Yet I call you servile ministers !