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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

d’une table. Je sais un homme qui s’abstient, lorsqu’il est à pied, de parler aux personnes qu’il rencontre en voiture, parce qu’il est impossible, dit-il, qu’involontairement on n’ait pas, du haut d’un carosse un air d’insolence envers le piéton. Il en est ainsi de la tribune, du sommet de laquelle les paroles tombent plus rudement sur les bancs inférieurs, et où une parole cavalière devient aussitôt une insolence. Puis ces gradins en amphithéâtre dont la cime, par une fatalité singulière, est toujours occupée par les esprits les plus effervescens, semblent des hauteurs couronnées de troupes qui vont se précipiter contre la petite forteresse occupée par l’orateur. Ajoutez à cet effet les groupes qui se forment dans l’enceinte, et qui escarmouchent dans cet espace, en attaquant ou en défendant, souvent par des mots très vifs, celui qui a la parole, la pétulance et les mouvemens français, et vous aurez une faible idée d’une séance de la Chambre des députés un jour d’émeute. Je désire que vous servez forcé de vous en tenir à ma description, et que vous ne trouviez jamais l’occasion de jouir de ce spectacle, soit à Paris, soit à Londres.

Je vous ai montré Casimir Périer ce jour-là, parce que ce fut son dernier jour de bataille. Depuis, sa colère et sa verve allèrent toujours diminuant, comme sa puissance. Avec sa défiance contre ceux qui l’entouraient, augmentaient ses soucis. Il se sentait déchu à ses propres yeux ; il se voyait responsable devant les Chambres, devant la nation, devant l’Europe, d’un système qui, chaque jour, devenait le moins le sien ; il s’apercevait qu’on l’avait pris, comme tant d’autres, pour user de son influence sur la classe qu’il était nécessaire de gagner en ce moment, et que, quand sa popularité serait usée, on le jetterait de côté, comme on avait jeté les hommes de juillet, à l’aide desquels on avait agi sur les classes inférieures et sur le parti exalté, qui était alors maître des choses. Casimir Périer était d’autant plus malheureux, qu’il se sentait complètement dupe. Il ne pouvait aller d’un bout à l’autre de son cabinet, sans rencontrer sous ses pas deux ou trois de ses amis doctrinaires, qui guettaient sa succession sur son visage, et qui avaient tellement arrangé les choses, que de ses mains chancelantes son portefeuille devait cheoir infailliblement dans leurs mains. S’il allait au conseil, il trouvait un de ces doctrinaires blotti sous le pan de l’habit du prince,