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Ce qui me charmait alors en Espagne, outre le bonheur de voir un pays nouveau et de satisfaire ma jeune curiosité, c’étaient l’éclat du ciel et la lumière abondante, pure, pénétrante, dont tout me semblait inondé. Nous étions dans l’été de 1811, fameux par l’apparition de la grande comète. La chambre où je couchais avec mes frères, à portée de la surveillance active et toujours inquiète de notre mère, donnait sur une petite cour, pavée de larges pierres plates, entourée de portiques pareils à ceux d’un cloître, et dont le centre était occupé par un bassin d’eau limpide, sans cesse renouvelée par une gerbe jaillissante. Quelques fleurs, quelques arbustes à feuilles embaumées égayaient la tristesse de cette cour intérieure. Les rayons éblouissans du soleil l’éclairaient pendant le jour, et pendant la nuit la lueur presque solaire de la comète ne permettait pas à l’obscurité d’y pénétrer ; que de fois, après que ma mère était venue dans notre chambre faire sa visite accoutumée, voir si nous étions couchés, s’informer si nous avions besoin de quelque chose, donner à chacun de nous le baiser du soir, après que j’avais entendu mes jeunes frères s’endormir profondément ; que de fois me suis-je relevé pour m’asseoir, presque nu, sur le balcon de notre croisée, afin de jouir de la fraîcheur de l’air, d’écouter l’harmonieuse et faible rumeur de la ville assoupie, et d’admirer la comète flamboyante et les étoiles scintillant à travers le large éventail de sa queue, dont la moitié du ciel était couverte ; car dans l’air pur et sous le climat méridional de l’Espagne, je l’ai appris depuis, cette comète a paru plus grande et plus lumineuse que dans aucun autre pays de l’Europe.

Alors que de vagues pensées ! que de rêveries sans but ! que de regards perdus, jetés dans cet abîme des cieux où j’aurais voulu découvrir quelque chose derrière les étoiles ! Puis, quand je me retournais pour retomber sur la terre, je voyais dans la même alcôve, mes deux frères plus jeunes que moi, fatigués par les jeux de la journée, reposant sous leur blanche couverture et dormant d’un sommeil paisible. Souvent aussi et presque malgré moi, mes yeux s’arrêtaient sur un portrait, ouvrage de Raphaël Mengs, seul tableau oublié dans cette partie de l’hôtel, et qui était resté accroché à la muraille de notre chambre. Ce portrait, c’était Charles iii, en simple habit de chasse, décoré seulement du grand cordon bleu de ciel