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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/311

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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.

à lisérés blancs et de la plaque de l’ordre qu’il a créé. La lumière était suffisante pour que je pusse distinguer facilement tous les traits de son visage, ils empruntaient même de cette clarté douteuse un air de vérité, un aspect de vie que je ne leur trouvais pas pendant le jour.

Je distinguais facilement cette tête qui m’a toujours paru si bizarre, cette figure longue comme celle d’un bouc, un nez aquilin dont l’extrémité cachait la moitié d’une bouche bordée de grosses lèvres brunies par le cigarre, de grands yeux noirs presque aussi saillans que le nez, un front haut et ridé surmonté d’une petite perruque flanquée de trois maigres boudins. À voir cette face hétéroclite, cette figure grotesque, mais où brillait pourtant un regard fin et doux, je ne me doutais guère que j’avais sous les yeux un des plus sages et des plus grands monarques de l’Espagne, homme sévère et vertueux, roi philosophe et bienfaisant, chrétien pieux, religieux observateur de ses devoirs envers ses sujets, et au règne duquel appartient la majeure partie des monumens et des fondations utiles qui ont décoré l’Espagne sous la dynastie des Bourbons…

Joseph revint de Paris. Le roi d’Espagne se souvint des promesses du roi de Naples, et mes parens reçurent l’avis que j’étais nommé page de sa majesté.

C’était une faveur d’autant plus grande, qu’aucun autre Français n’y devait être admis. Dire qu’elle me combla de joie serait peu dire ; j’étais dans l’enivrement.

Peu de jours après ma nomination, ma mère me conduisit dans la Real Casa de Pages.

Mon début aux Pages ne m’inspirait ni crainte ni inquiétude. Je parlais déjà assez bien l’espagnol pour pouvoir prendre part à toutes les conversations. Ma qualité d’ancien élève du Lycée impérial de Paris me donnait une sorte de confiance en moi-même, qui m’empêchait de redouter le moment de la première entrevue avec les jeunes Espagnols dont j’allais devenir le compagnon.

Je fus d’ailleurs parfaitement reçu par eux. La coutume barbare d’accueillir par des mystifications, ou grossières, ou brutales, un camarade nouvel arrivé, était inconnue en Espagne, et je n’eus à supporter aucune de ces plaisanteries cruelles alors usitées en pareil cas à Saint-Cyr et à Fontainebleau.