Le 1er janvier, je fus prêt de grand matin. Avant de partir pour le palais, nous devions passer la revue de notre gouverneur.
C’était l’ancien gouverneur des pages de Charles iv, dont Luis de Rancaño, un colonel du génie, officier fort estimé dans son arme, et qui avait obtenu l’emploi qu’il occupait auprès de nous, comme une sorte de retraite honorable pour sa vieillesse ; d’une taille élevée, d’une belle tenue militaire ; juste, ferme, doux et bienveillant, il nous inspirait à tous du respect. J’ai eu le bonheur, depuis les évènements de 1814, de revoir à Paris cet homme vénérable, expatrié comme tous les Espagnols distingués qui avaient servi Joseph. Il supportait avec calme, sans plaintes comme sans orgueil, les peines et les misères de l’exil. La vie de Paris plaisait à cette intelligence active. Logé mesquinement, vivant sobrement, ne cherchant de récréations que dans les promenades qu’il faisait chaque jour avec le petit nombre d’amis éclairés que ses connaissances variées, sa conversation substantielle et instructive attiraient auprès de lui ; suivant avec assiduité quelques cours choisis du Collége de France, s’occupant dans une certaine mesure de géographie, de chimie, de botanique et de hautes mathématiques, il attendait ainsi, avec philosophie et résignation, la mort qui est venue le frapper peu de temps avant l’époque où les décrets de la reine Christine ont ouvert les portes de l’Espagne à tous les exilés.
Nous donnions à ce digne gouverneur le doux nom d’Ayo (père nourricier). C’était l’ancien titre de son emploi, touchante appellation que la nouvelle étiquette espagnole avait empruntée à l’ancienne.
En me voyant arriver le premier de tous, ce bon vieillard, qui ne venait au palais que pour assister à ma présentation et m’encourager par sa présence, me félicita de ma diligence et sourit lorsque je lui en avouai naïvement la cause.
M. Rancaño avait auprès de lui, comme assistente et sous-gouverneur, un jeune chef de bataillon, officier de grande distinction, nommé Landaburu. Cet officier a aussi suivi en France le roi Joseph ; mais, après le retour de Ferdinand à Madrid, il obtint l’autorisation de revenir en Espagne. Ses talens militaires et peut-être aussi quelque protection lui firent obtenir de l’emploi. Il entra