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dainement devant nous et offrit de ses fleurs à madame de Nanteuil.

C’était chose toute simple. Si je n’avais point été le plus ombrageux, le plus susceptible et le plus inexplicable des hommes, j’aurais pris l’un des bouquets de cette fille, et le payant de quelques pièces de monnaie, je me serais ainsi débarrassé d’elle. Mais moi, ce n’est point de cette sorte que je procède. — Et puis j’ai la sotte manie de scruter les physionomies et les consciences, j’ai la rage de moraliser à tout propos, et hors de tout propos.

La figure de cette marchande m’avait déplu et choqué pour le moins autant que sa brusque apparition. — Elle était jeune encore, mais déjà toute flétrie. C’était évidemment une de ces effrontées qui vendent des fleurs par pis-aller, parce que celle de leur beauté s’est fanée, parce qu’on ne les achète plus elles-mêmes. Je ne vis qu’avec dégoût des roses dans de pareilles mains. — Je détournai la tête.

Mais la marchande ne se découragea pas pour cela, et s’adressant toujours à madame de Nanteuil, elle la pria de nouveau de choisir l’un de ses bouquets.

Cédant enfin à ses importunités, madame de Nanteuil en prit un.

— Vous me faites cette galanterie, John, me dit-elle alors, en me le mettant sous ses yeux.

Assurément je puis le dire, car mes hommes d’affaires et mes banquiers le savent bien, — l’avarice est le moindre de mes défauts ; — et cependant, je dois l’avouer : à ce moment, si la chose eût été possible humainement, j’aurais refusé ce bouquet à madame de Nanteuil. — Mais cela ne se pouvait point. Je me résignai donc.

— Combien vous est-il dû pour ce bouquet ? demandai-je assez rudement à la marchande.

— Ce que monsieur voudra, reprit celle-ci.

— Fort bien, dis-je en moi-même. Cette créature vient ici spéculer sur l’amour-propre et la vanité. Elle a placé les bénéfices de son commerce dans nos passions les plus petites. Elle a calculé qu’on ne manquerait pas de lui payer ses fleurs magnifiquement, afin de paraître généreux — à bon marché. Fort bien. – Mais