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dentiel fût complet, et qu’il ne manquât rien à l’horreur de ce mutuel homicide.

Lucrèce, lasse d’incestes, d’adultères et d’empoisonnemens, essayant de faire une halte dans la vertu, et de se reposer, dans un nouvel amour, de ses laborieux libertinages, n’aurait pas confié ses remords et ses espérances à une âme damnée comme Gubetta ; elle aurait compris que l’assassin gagé, qui, depuis vingt ans, obéit au crime, ne peut, dans l’espace d’un instant, se métamorphoser et devenir l’instrument d’une vertueuse entreprise. Elle ne se fût pas exposée de gaîté de cœur aux railleries honteuses, aux familières ironies de ce démon dévoué, qui demande avec un étonnement bien naturel d’où vient ce changement subit. Elle n’aurait eu d’autre complice qu’elle-même et sa volonté dans ce nouvel apprentissage d’un amour qu’elle avait ignoré jusque-là.

Forcée de disputer la tête de Gennaro à l’orgueil ducal ou à la jalousie conjugale d’Alphonse d’Est, elle aurait mis, comme toutes les femmes qui écoutent leur cœur, son rôle de mère bien au-dessus de son rôle d’épouse. Elle aurait mis sa honte, publiquement avouée, au-devant du poignard, elle eût fait de son déshonneur, proclamé par sa bouche, un bouclier pour Gennaro ; elle aurait bu le poison, loin de le verser. Car où est la mère qui, même incestueuse, consentira jamais à empoisonner son fils ? Vainement objecterait-on qu’elle a l’espoir de le sauver, elle doit réserver pour elle-même cette espérance.

Son fils une fois soustrait à la vengeance d’Alphonse, elle n’aurait eu ni repos ni cesse qu’il n’eût quitté les murs de Ferrare, et l’aurait renvoyé à Venise sous bonne et sûre garde ; et, pour qu’il retombât entre les mains de son mari, il aurait fallu quelque nouvelle imprudence de jeune homme, qui rendît impuissante la protection d’une femme telle que Lucrèce.

Les caresses menteuses de cette courtisane couronnée ne signifient rien, si Lucrèce n’obtient la grâce de son fils. À quoi bon descendre jusqu’à flatter son mari, si toutes ces ruses effrontées doivent se terminer par la mort qu’elle voulait éloigner ? La lèvre chaude encore des baisers de son frère, comment consent-elle à gaspiller en pure perte ses agaceries et sa beauté, quand elle pourrait d’un mot, elle fille d’Alexandre vi, qui trafique avec l’Espagne et la