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tour au gré de l’artiste, qui manie notre langue, on le sait, avec une autorité militaire, sonore comme l’airain, caressant et velouté comme l’amoureuse ottomane où les regards de Lucrèce semblent inviter son imbécile époux ; puis enfin hardi, pressé, étincelant, comme le cliquetis de deux épées qui se heurtent dans l’ombre, et s’acharnent au meurtre en dépit de la nuit qui protége deux poitrines haletantes. — Jamais le mot mis à la mode dans le siècle dernier par le plus littéraire de tous les naturalistes, le style est l’homme, n’a reçu d’application plus éclatante et plus vraie. Le caractère saillant de la pensée de M. Hugo, c’est une prédilection assidue pour les images visibles, pour la partie pittoresque des choses, une préférence constante pour la couleur, à l’exclusion de toutes les autres qualités ; il ne lui arrive jamais de chercher, comme Wordsworth ou Wilson, dans le regard naïf d’un enfant, un souvenir de Dieu, ou, comme Hervey, dans les blanches épaules d’une jeune fille, de prévoir le jour où la mort viendra les réduire en cendres. Il se sert de la parole comme d’une palette ; il s’emploie et s’épuise à décrire ou plutôt à peindre les cheveux blonds de l’enfant, il nous montre la brise qui se joue dans les boucles dorées, et semble prendre plaisir à lutter de richesse et de profusion avec le pinceau de Rubens. S’il veut nous révéler la beauté d’une vierge, il ne prendra, soyez-en sûr, ni les mystiques expressions de Klopstock, ni la grâce harmonieuse et grave de Milton. Il préfère de beaucoup le coloris éclatant de Murillo, ou parfois même de l’école vénitienne. Les contours arrêtés, les vives silhouettes d’Albert Durrer ou d’Holbein, lui sembleraient mesquins et pauvres.

Or, comme le poème tout entier de Lucrèce Borgia s’adresse aux yeux plutôt qu’au cerveau, et surtout plus qu’au cœur, la couleur sobre des madones de Raphaël, qui nourrissent la rêverie et n’excitent pas un profane désir, ou le dessin sévère et logique de l’école allemande, qui exalte la pensée et ne distrait pas un instant l’attention de la combinaison des lignes, iraient mal à ce genre de composition.

Il faut bien le reconnaître, le style d’Hernani et de Marion avait encore avec le sentiment et la pensée une parenté moins lointaine que le style de Lucrèce Borgia. Il y avait dans ces deux pièces une moindre habileté dramatique, ou si l’on veut théâtrale. Les scènes