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LUCRÈCE BORGIA.

nelles, ne savent plus que des préceptes, et moralisent les passans. Ainsi fit le dix-huitième siècle, quand il sentit, dans ses veines appauvries, que la folie et les nuits blanches n’étaient plus de son âge : le théâtre eut alors ses enseignemens comme le jardin d’Academus et le Portique. Voltaire écrivit Mahomet et Jules César, pour combattre le fanatisme et la tyrannie. Le théâtre, qui sous Louis xiv était une fête, devint une prédication, une palestre dialectique.

Puis, quand la foule, préparée à l’attaque par les exhortations des philosophes, sentit sa force et son droit, et comprit qu’il fallait flétrir son ennemi pour le renverser, son indignation et son mépris trouvèrent un digne interprète : Beaumarchais écrivit le Mariage de Figaro. L’aristocratie et le privilège, personnifiés sous le masque du comte Almaviva, plièrent le genou devant les railleries du hardi barbier, pour s’enfuir, quelques années plus tard, devant le serment du jeu de paume : le pamphlet du poète dictait la réponse de Mirabeau à M. de Dreux-Brézé.

La raison armée de la Convention et les saturnales du Directoire se passèrent bien de poésie. Le duel de la France avec l’Europe et les voluptés efféminées du Luxembourg n’avaient pas besoin d’être chantées.

Sur le seuil du siècle nouveau, quand le jeune vainqueur de l’Italie et de l’Égypte voulut reprendre la monarchie au point où l’avait laissée l’amant de madame de Maintenon, il comprit que l’art était un puissant moyen de gouvernement ; il organisa des fêtes, il s’entoura de luxe et de parures, il voulut des perles et des diamans sur les épaules des femmes de sa cour, des armoiries aux carrosses de ses courtisans, des panaches flottans aux casques de ses généraux ; en même temps qu’il rédigeait une législation toute neuve, il traçait des rues tirées au cordeau comme celles de Versailles, et pensionnait des versificateurs pour célébrer la naissance du roi de Rome ; David dessinait les costumes d’une cérémonie militaire, et drapait à la romaine le sacre du nouveau Charlemagne.

Je ne concevrais pas Watteau et Boucher, sans Marivaux et l’abbé Voisenon. Je ne comprendrais pas non plus les tragédies de MM. Arnault et Baour-Lormian, sans la peinture de David. — Ce qui prouve que les pages homériques de Gros n’étaient pas de son