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tions récentes de Villeneuve d’Avignon. La révolution en fit une prison, et une prison douloureusement célèbre par le massacre de la Glacière. L’empire ne paraît avoir rien fait pour l’entretenir. La restauration a systématisé sa ruine. Certes, ce palais unique avait bien autrement le droit d’être classé parmi les châteaux royaux, que les lourdes masures de Bordeaux ou de Strasbourg ; certes, le roi de France ne pouvait choisir dans toute l’étendue de son royaume un lieu plus propice à sa vieille majesté, au milieu de ces populations méridionales qui avaient encore foi en elle. Mais point. En 1820, il fut converti en caserne et en magasin, sans préjudice toutefois des droits de la justice criminelle, qui y a conservé sa prison. Aujourd’hui, tout est consommé ; il ne reste plus une seule de ces salles immenses dont les rivales n’existent certainement pas au Vatican. Chacune d’elles a été divisée en trois étages, partagés par de nombreuses cloisons ; c’est à peine si, en suivant d’étage en étage les fûts des gigantesques colonnes qui supportaient les voûtes ogives, on peut reconstruire par la pensée ces enceintes majestueuses et sacrées, où trônait naguère la pensée religieuse et sociale de l’humanité. L’extérieur de l’admirable façade occidentale a été jusqu’à présent respecté, mais voilà tout : une grande moitié de l’immense édifice a été déjà livrée aux démolisseurs ; dans tout ce qui reste, ses colossales ogives ont été remplacées par trois séries de petites fenêtres carrées, correspondantes aux trois étages de chambrées dont je viens de parler : le tout badigeonné proprement et dans le dernier goût. Dans une des tours, de merveilleuses fresques, qui en couvraient la voûte, ne sont plus visibles qu’à travers les trous du plancher, l’escalier et les corridors de communication ayant été démolis. D’autres, éparses dans les salles, sont livrées aux dégradations des soldats, et aux larcins des touristes anglais et autres. Le juste-milieu, pour ne pas rester en faute à l’égard de ses prédécesseurs, vient d’arrêter la démolition des arcades de la partie orientale, pour faire une belle cour d’exercice. Définitivement l’art et l’histoire ont de moins un monument unique, et les gouvernemens tutélaires une tache de plus.

Je ne puis m’empêcher de transcrire ici quelques passages d’une lettre que m’écrit à ce sujet un jeune industriel d’Avignon. Ils vous montreront combien il y a souvent d’intelligence et d’élévation enfouies dans nos provinces disgraciées. Voici ses paroles :

« Sur un sol où le culte des souvenirs historiques conserverait quelques autels, on adorerait ces nobles débris. Tandis que les ruines vont tous les jours s’amoncelant sur notre vieille terre d’Europe, on ne croirait pas qu’il fût possible de dédaigner un des plus beaux monumens que la foi religieuse du moyen âge ait transmis à l’incrédulité du nôtre. Si le palais de