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son enceinte la belle église gothique qui sert de paroisse à la ville. Il a appartenu au célèbre prince de Talmont, et après avoir traversé comme par miracle les fureurs de la guerre civile, il n’a pas su trouver grâce devant sa veuve ; elle l’a vendu sous la restauration à un habitant de Saumur qui le détruit en détail. Au bas du rempart se trouve une seconde église, dont il ne reste que les murs à moitié abattus, mais encore couverts de fresques que les intempéries de saison n’avaient pas eu le temps de rendre méconnaissables à l’époque où j’y suis passé, mais qui doivent être perdues maintenant.

Sur les bords de la Loire, entre Saumur et Candes, s’élève encore le château de Montsoreau, célèbre dans l’histoire si éminemment chevaleresque de l’Anjou par mille aventures, et plus tard par le rendez-vous fatal de Bussy d’Amboise. Ce château, dont la construction date du plus beau temps de la renaissance, avait aussi échappé au vandalisme révolutionnaire, mais il a été victime de celui de son dernier propriétaire, le marquis de Sourches-Tourzel. Il l’a vendu à des paysans du village qui l’ont déchiqueté, dégradé, abîmé de mille manières. On n’a épargné que le curieux escalier tournant dans la tourelle du sud-est, dont la voûte surtout est regardée comme un chef-d’œuvre de l’art. Mais les grandes croisées carrées ornées de ravissantes sculptures, les salles voûtées, les immenses cheminées ont disparu pour faire place à une foule de petites chambrettes que vous montrent complaisamment ces nouveaux distributeurs, tout fiers d’avoir tiré un si bon parti d’une si inutile grandeur. C’est à peine si l’on peut découvrir çà et là quelques traces d’un de ces admirables plafonds en bois de chêne à carreaux sculptés dont l’art s’est perdu depuis.

Enfin, on vient de m’apprendre qu’au château de Montmurand en Bretagne, la chapelle où Duguesclin fut armé chevalier a été changée en buanderie, et qu’une autre chapelle a été bâtie exprès dans la cour voisine pour la remplacer ! Une pareille profanation ne souffre pas de commentaire.

Il est juste de citer à côté de ces scandales quelques rares et nobles exemples d’un culte voué par quelques familles aux manoirs de leurs pères. Le plus éclatant de ces exemples qui soit à ma connaissance est celui du château de Biron, sur les confins de l’Agenois et du Périgord, dont l’imposante beauté, les trois chapelles gothiques, ont trouvé dans les possesseurs actuels des protecteurs éclairés. Ce château est l’objet d’une véritable affection dans le pays, où le nom des Biron jouit de toute sa gloire, et où les bergères chantent encore la complainte du maréchal que fit décapiter Henri iv. On peut nommer encore en Périgord, Bannes, préservé dans sa forme ancienne par MM. de Losse, et Lanquais, par MM. de Gour-