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Je n’ai rien à dire de Saint-Bruno, tout rempli de statues dans le goût du Bernin, par le cardinal de Sourdis, au commencement du dix-septième siècle, ni de Saint-Paul, Saint-Dominique, et autres mauvaises églises des dix-septième et dix-huitième siècles.

En fait d’architecture civile, Bordeaux a conservé deux de ses anciennes portes, la première, au-dessous d’une des quatre tours de l’hôtel de ville, bâties en 1246, qui s’élevaient à deux cent cinquante pieds de haut, et dont la réunion devait former un ensemble unique. Il n’en reste aujourd’hui que celle dite la Tour de l’Horloge, surmontée de trois tourelles en flèche, d’un gothique noble et imposant. La seconde porte, dite du Caillau, fut bâtie en 1494, en mémoire de la bataille de Fornoue ; quoique dégradée, elle n’en offre pas moins toute l’élégance et tout le charme des monumens de cette époque. Ses trois tourelles et ses croisées, en carré arrondi, qui ont tous les caractères de la belle renaissance, produisent un effet très pittoresque, surtout lorsqu’en la contemplant de la rivière, on la voit s’élever au milieu du mouvement industriel du port sur lequel elle donne.

D’après tout ce que je viens de vous dire, mon ami, vous reconnaîtrez, j’espère, que Bordeaux est une ville qui procure une véritable satisfaction aux défenseurs de l’art antique. Malgré la profusion de mauvais goût qui règne dans les ornemens intérieurs des églises, malgré plusieurs exemples de vandalisme que j’ai cités, il est impossible de ne pas reconnaître chez les architectes de cette ville une tentative de reconstruction et de régénération gothique, tentative accompagnée de tâtonnemens et d’erreurs que j’ai osé signaler, mais digne de toute notre sympathie, de tous nos éloges, d’autant plus qu’ils persévèrent silencieusement et obscurément depuis plus de vingt ans. Personne que je sache ne leur a rendu sous ce rapport la justice qu’ils méritent, mais ils ont inscrit leurs droits à la reconnaissance nationale, d’une manière plus éclatante que dans des journaux, sur les pierres immortelles de Saint-André et de Saint-Seurin.

En un mot, Bordeaux est une ville consolante ; elle l’est surtout, comparée à Paris, qui semble condamné à ne jamais se relever de l’espèce d’interdit jeté sur lui par le bon goût depuis près de trois siècles. Si la France a la honte d’être moins avancée en fait d’art que le reste de l’Europe, Paris a la double honte d’être encore en arrière de toute la France. Tandis que généralement, en province, l’étude et la protection de nos chefs-d’œuvre anciens devient le signe de ralliement de tous les architectes distingués, tandis que des essais de restauration intelligente, en harmonie avec le caractère original des édifices, et motivés par des besoins réels, ont lieu dans plusieurs localités, Paris seul reste indifférent et livré sans défense aux caprices dévastateurs de la liste civile, aux pro-