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VOYAGE SUR LE MISSISSIPI.

suivre dans le fourré un cerf ou un sanglier. Nous arrivâmes toutefois sans accident, à dix heures, à Snake-Town (la ville des serpens). En Amérique, on donne le nom de ville au moindre hameau ; dans celui-ci, il n’y avait que deux maisons. Les environs de Snake-Town sont infestés de congos, de mocassins et de serpens à sonnettes. Le nombre cependant en commence un peu à diminuer depuis qu’on coupe ou brûle les bois, et les cochons qui s’en nourrissent impunément[1] en font aussi une grande destruction. Le serpent à sonnettes, qui s’entend d’assez loin, est moins dangereux que les congos et les mocassins, qui rampent en silence. Les nègres, qui travaillent jambes nues dans les bois, ne sont que trop souvent victimes des morsures de ces reptiles, qui sont encore si communs, qu’on fait des chaussures avec leurs peaux. Le mocassin habite surtout les marais et les lieux humides.

Nous ne nous arrêtâmes que fort peu de temps à Snake-Town, et nous en repartîmes après souper avec notre petit cocher qui, craignant sans doute de ne pas faire preuve de sa hardiesse ordinaire, prit une large dose de whiskey pour se donner du cœur. À minuit, il arrêta tout à coup la voiture en nous adressant ces paroles : Oh ! gentlemen ! recommandez vos âmes à Dieu, car nous allons traverser a damn’d frightful little old river. » Nous arrivions, en effet, sur les bords escarpés, sombres et boisés, d’une rivière dont l’eau noire courait, rapide comme la flamme, en se brisant contre un snag ; d’énormes chauves-souris volaient au-dessus de son lit. C’était le bras oriental du White-River. Nous mîmes pied à terre ; nous allumâmes quelques chandelles, qui furent bientôt éteintes par un coup de vent, et nous fîmes entrer les chevaux dans le bac : il y avait juste place pour eux et la voiture. Quoique cette rivière ne fût pas large, son courant était si fort, que nous fûmes obligés de remonter assez haut, en nous hâlant le long du bois à l’aide des branches, pour nous laisser redescendre vers le lieu d’abordage. Malgré cette précaution, et surtout malgré les efforts du batelier pour maintenir avec de larges avirons l’avant du bateau du même côté, et l’approcher du rivage opposé, il suivit bientôt le

  1. On prétend que c’est leur graisse qui leur sert de préservatif contre le venin de ces reptiles.