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SALON DE 1833.

nous devons le spectacle inattendu de ces cadres où la volonté semble se jouer de la difficulté, et tire de la limitation même des moyens un nouveau motif de courage et de persévérance.

Je choisis parmi des ouvrages de cette année deux aquarelles et deux ivoires, M. D…, une tête de jeune homme que je prends pour anglaise, madame la marquise de P…, et la fille du duc de F… Jamais, j’en suis sûr, on n’a rien fait de plus jeune, de plus fin, de plus transparent que ce dernier morceau : les cheveux blonds et légers sont un vrai chef-d’œuvre, les yeux sont vivans, l’accentuation des pommettes et des tempes est franche sans dureté, et l’âge du modèle présentait de grands obstacles. Madame de P… est, je crois, le masque le plus soutenu que madame L. de Mirbel nous ait encore donné. Il n’y a pas une partie du visage qui ne soit en parfaite harmonie avec les autres, et qui, par ses relations avec elles, ne les rende nécessaires. Or, si l’on y prend garde, la nécessité est un des caractères les plus élevés que l’artiste puisse imprimer à son œuvre. Quand vous apercevez quelque part, dans une création, quelle qu’elle soit, le cachet de la nécessité, gravé si profondément qu’on ne pourrait altérer un seul élément de la composition sans troubler la composition tout entière, assurez-vous que l’intelligence à laquelle vous avez à faire est tout simplement du premier ordre. Si au contraire les choses qui vous plaisent le plus vous semblent pouvoir être impunément remplacées, soyez en défiance, car vous êtes en présence d’un talent secondaire. Les créations qui se distinguent par l’élasticité, c’est-à-dire par un caractère muable à volonté, sans danger, sans inconvénient, accusent une pénétration incomplète. La beauté traduite parfaitement n’est autre chose que la vérité parfaitement comprise et révélée sous une forme tellement logique et harmonieuse qu’on ne saurait la supposer autrement.

C’est pourquoi je préfère le portrait de madame de P… aux précédens ouvrages de madame de L. de Mirbel. Je révère et j’admire dans ce masque si fin, si vivant et si jeune, le sceau de la nécessité.

Le portrait de M. D… est traité avec une grande simplicité, sans petitesse et sans mesquinerie. Les chairs sont pleines de souplesse, les yeux regardent sans affectation ; ce que j’en aime surtout,