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AFRIQUE.

partenant ; Mohammed-el-Habyb enfin avait intérêt à faire planer, par ses agens à Saint-Louis, une accusation capitale sur un prince dont il désirait la perte. Mais aucune considération ne devait prévaloir. — Moctar, mené devant une commission présidée par un capitaine du 16e léger, fut condamné à la peine de mort. Il y avait deux ans que Malywouare avait cessé de vivre, et une heure suffit pour le jugement de Moctar ! À peine descendu de l’audience où l’on venait de le condamner, il fut conduit dans la cour de la caserne qui touche aux appartemens du gouverneur, et là, placé devant un peloton commandé par un adjudant, le prince trazas tomba frappé de plusieurs coups de feu.

La justice qui procède si vite n’a-t-elle aucun reproche à se faire ? Quel but s’est-on proposé ? A-t-on voulu frapper un grand coup sans sortir de chez soi ? Mais espère-t-on atteindre les partisans de Moctar, quand ils se livreront à des récriminations ? On aurait dû se rappeler qu’il sera impossible de les atteindre dans le désert, où commence l’empire du Maure et où finit la puissance de l’Européen ; que le simoun est moins brûlant que leur soif de vengeance… Il est à craindre que cette catastrophe ne ferme encore le continent africain aux investigations des voyageurs, et que de long-temps on ne puisse lier des rapports assurés avec des hommes qui en se retirant de la colonie lui ont laissé ces paroles menaçantes : Entre eux et nous il y a du sang[1].

Une conduite aussi imprévoyante indique dans le gouvernement de la colonie une grande ignorance de ses intérêts, ou une impéritie complète. Mais un prince maure est presque un objet de risée pour nos Français de Saint-Louis[2], qui ne se font pas faute de prodiguer les injures les plus

  1. Expression textuelle des Maures.
  2. Pendant mon séjour dans la colonie, le maire de Saint-Louis m’amena un jeune prince maure, âgé de quatorze ans, qu’un marchand avait brutalement frappé. Cet enfant avait des larmes d’indignation aux yeux, et me remercia en me donnant la main, lorsque je lui assurai que pareille chose ne lui arriverait plus.

    Un autre chef de tribu maure vint aussi se plaindre à moi des mauvais traitemens que lui avait fait subir, à l’occasion d’une discussion commerciale, un haut fonctionnaire, qui s’était oublié jusqu’à le frapper à la figure.

    Sidi Ahmet, qui avait entrepris le voyage de Maroc au Sénégal par le désert pour demander justice contre un juif de Jérusalem qu’il accusait d’assassinat, ne fut pas plus heureux, et ne reçut qu’une avanie semblable au lieu de la justice qu’il réclamait.