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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/133

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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.


Nous avions à Madrid, en 1811, à l’hôtel des Pages, un enfant de huit ans, appelé, je crois, Manuel Liria, orphelin resté seul de cinq frères, morts en combattant contre le roi tant à Talaveyra qu’à Ocaña et à la Sierra Morena. Cet enfant appartenait à une famille honorable qui avait servi le pays avec distinction dans les armées de terre et de mer ; son père et son oncle étaient morts à Trafalgar. Privé de tout appui, il avait été recueilli à Séville par un ouvrier du faubourg de Triana, ancien matelot du vaisseau monté par son père, et chez lequel le roi le vit dans une des promenades dont je viens de parler. Joseph fut frappé de la grâce et de la noblesse de sa physionomie, et ayant appris quelles étaient sa famille et sa malheureuse position, il demanda qu’il lui fût con-

    vertu qu’on ne lui a jamais contestée. Sa fortune se trouve aujourd’hui considérablement réduite, par les secours multipliés qu’il a distribués aux Français de toutes conditions, que des revers de fortune ou les proscriptions politiques conduisaient dans les provinces de l’Union-Américaine où il s’était retiré. Sa bienfaisance n’était pas limitée aux Français seuls, les Italiens, les Espagnols, les Polonais malheureux, pouvaient s’adresser à lui avec confiance. Il traitait en fils de la France tous ceux qui avaient partagé les combats, les revers et la gloire de nos armées.

    Voici un trait qui est resté ignoré jusqu’à ce jour, et dont l’authenticité est certaine :

    En 1815, le roi Joseph fut prévenu qu’un assez grand nombre de familles espagnoles réfugiées en France, et dont les chefs avaient embrassé sa cause, se trouvaient dans une profonde misère ; leurs biens en Espagne étaient sous le séquestre, et des décrets de proscription leur interdisaient la rentrée de leur pays. Joseph fut très sensiblement affecté du malheur de ses anciens sujets. C’était pendant les cent jours, et il n’avait à sa disposition aucune somme considérable ; il donna ordre alors de vendre secrètement sa vaisselle plate, et il en fit remettre le produit à M. le marquis de San Adrian, grand d’Espagne, qui avait été attaché à sa maison, et à M. de Arce, patriarche des Indes, en les chargeant d’en faire la répartition aux plus nécessiteux de leurs compatriotes. Il exigea seulement que les distributeurs de ses bienfaits gardassent le silence le plus absolu sur la source d’où ils provenaient : « ne voulant pas, dit-il, enchaîner par la reconnaissance ceux de ces malheureux Espagnols qui, à l’aide de leurs amis ou de leurs parens, pourraient obtenir de retrouver en Espagne un emploi et une patrie. »