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fié pour en prendre soin. Le bon vieux matelot ne consentit pas sans peine à se séparer du fils de son ancien officier. L’enfant fut présenté au roi par l’alcade del barrio. Joseph annonça qu’il pourvoirait à son éducation, et dit au magistrat qui le lui conduisait : « En France, nous estimons que les fautes sont personnelles. Cet enfant est innocent de la haine aveugle que ses frères m’ont portée sans me connaître. Roi d’Espagne, je dois, en prenant soin de lui et en le faisant élever, payer la dette de la nation envers sa famille. » Puis il ajouta avec chaleur : « Il convient que des services rendus au pays soient un patrimoine qu’un père puisse laisser à ses enfans. Si la nation est reconnaissante, cette fortune sera la plus enviée, car elle sera du moins à l’abri des coups du sort. » Le jeune Liria fut envoyé aux Pages à Madrid, et quand Joseph nous passait en revue, il ne manquait jamais de s’enquérir de la santé et des progrès de son petit protégé. Nous avons quitté Madrid en 1813, cet enfant resta alors dans l’hôtel avec quelques autres de nos camarades, dont les parens n’habitaient pas la capitale. J’ignore ce qu’il est devenu. Joseph avait recueilli les serviteurs de Ferdinand vii et de Charles iv, Ferdinand vii aura-t-il donné asile à ce page du roi Joseph ?

En franchissant la Sierra Morena, le roi avait annoncé l’intention de tenir les cortès à Grenade, au mois de mars suivant. Cordoue s’était rendue sans coup férir. Grenade et Jaen imitèrent cet exemple. Les capitales des quatre royaumes de l’Andalousie se trouvaient ainsi en son pouvoir.

Joseph n’eut jamais lieu de se repentir de la confiance qu’il témoigna aux Andalous, pendant son séjour dans leur province, bien qu’elle l’ait quelquefois entraîné à des actes qui paraissaient téméraires. En voici un qui m’a été raconté par un témoin oculaire, et qui se rattache à la tournée que le roi fit en Andalousie, après son excursion au port Sainte-Marie.

Le roi voyageait ordinairement avec un escadron de sa garde. Il suivait la route de Ronda à Malaga. On marchait dans la montagne. La chaleur était forte ; les chevaux, harassés, avaient ralenti le pas. Le roi, pressé d’arriver, apercevant à peu de distance une ville où il comptait faire halte, prit les devans, seul avec un aide-de-camp ; un temps de galop le conduisit aux portes de la ville. Il