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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.

y entra au moment où la guérilla de Lopez Muñoz, chef de contrebandiers célèbre sur la côte, était à cheval au milieu de la place. Il n’y avait pas à délibérer. L’aide-de-camp engageait le roi à retourner sur ses pas. Ce parti avait aussi son danger, le cheval du roi était fatigué de sa course. Joseph s’avança hardiment, mit pied à terre devant une maison d’assez belle apparence, et y entra. Là, il se nomme au maître de la maison, stupéfait de recevoir un pareil hôte, et lui ordonne d’appeler le chef de la guérille. Celui-ci arrive : « Commandant, lui dit le roi, je vais passer votre troupe en revue, faites prendre les armes. » Le brave Lopez est d’abord un peu étonné de l’ordre qu’il reçoit, mais il avait apparemment déjà entendu parler de Joseph favorablement, comme en parlaient communément les Andalous éclairés ; il prit son parti sur-le-champ : — « Sire, vous allez être obéi. » — Et, remontant à cheval, il commande à ses soldats de mettre le sabre à la main. Joseph se montre. Il est accueilli par les cris de viva el rey José, poussés par les contrebandiers, et auxquels se mêlent ceux du peuple de la ville, attiré par ce spectacle inattendu. Il passe la troupe en revue, traverse les rangs, dit au chef quelques mots flatteurs sur l’air martial de ses hommes, sur la propreté des sabres et des trahucos (trombones), puis il lui annonce qu’il les prend tous à son service pour former le noyau d’un régiment de chasseurs d’Andalousie. Ces paroles sont accueillies par de nouvelles acclamations ; Joseph rentre dans sa maison. Un quart d’heure après, quand l’Ayuntamiento se présenta pour lui offrir ses hommages, il trouva deux contrebandiers, complètement armés, en faction à la porte du roi, et des guirlandes de chaînes de fer décoraient déjà les murailles de l’escalier[1]. Ce qui manqua tout gâter, ce furent les chevau-légers de

  1. D’après un usage fort ancien en Espagne, le propriétaire de toute maison où a logé le roi a le droit d’orner de chaînes de fer le portail et le vestibule de sa maison.

    L’origine de cet usage ne m’est pas connue ; un Espagnol fort instruit des antiquités de son pays pense qu’elle remonte aux temps féodaux. La visite du roi affranchissait alors de toute servitude ; et, en mémoire de cet affranchissement, on suspendait des chaînes à la maison qu’il avait habitée ou visitée.