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pliquer. Nous ne doutons pas de la providence ; nous ne pouvons douter non plus de la fatalité, dont nous sentons la main mêlée à tout ce que nous faisons, et de qui dépend la réussite ou le mauvais succès de nos moindres projets. Mais en quoi consiste cette fatalité ? cette fatalité, quelle est-elle ?

Le problème exprimé transcendantalement peut s’énoncer comme il suit. — Comment se fait-il que, lorsque nous agissons librement, c’est-à-dire avec la conscience de ce que nous faisons, il résulte pourtant de ce que nous avons fait, certaines choses que nous n’avions pas voulu faire, que notre liberté, abandonnée à elle-même, se serait même souvent bien gardé d’exécuter ?

Ce qui se manifeste à moi, sans que j’aie eu dessein de le produire, se manifeste de la même façon que le monde objectif tout entier. D’un autre côté, il résulte de l’ensemble de mes actes quelque chose d’objectif, une seconde nature. Pourtant, aucun objectif ne devrait cependant résulter de mes actes volontaires, puisque le caractère essentiel de l’objectif est précisément d’exister pour moi, sans que j’aie conscience de la manière dont il existe. Il serait donc impossible de concevoir comment cette seconde sorte d’objectif pourrait naître de notre activité libre, si nous n’admettions pas en outre que de l’activité dont j’ai conscience, naisse aussi une autre sorte d’activité dont je n’ai pas conscience.

On sait que c’est seulement dans l’intuition que l’objectif se manifeste au moi sans qu’il en ait conscience ; l’objectif qui apparaît dans mes actes libres doit donc avoir tous les caractères d’une intuition. C’est ce qu’il s’agit d’expliquer maintenant plus en détail.

Par cette expression d’objectif apparaissant au moi, dans les actes libres du moi, il convient d’entendre autre chose que ce que nous avons voulu dire jusqu’à présent par le mot objectif. Tous nos actes sont dirigés, ou du moins devraient l’être, vers un but qui n’est pas réalisable par l’individu, mais par l’espèce entière. La conséquence de cette dernière condition, c’est que les suites, les résultats de nos actes ne sauraient dépendre de nous seuls, mais qu’ils dépendent aussi de la volonté de nos semblables. Je ne peux rien, par conséquent, pour le but que je veux, si tous ne veulent pas ce but, comme je puis le vouloir moi-même. Cet accord est difficile, peut-être impossible. Le plus grand nombre ne peut guère vouloir