Lorsque nous revînmes à Saint-Pierre, le temps était couvert et promettait de l’eau pour la nuit. Nous renonçâmes donc à notre premier dessein d’aller coucher à l’hospice, et en rentrant nous dîmes à notre hôte de nous donner à souper, et de nous préparer des chambres.
Ce n’était pas chose facile : plusieurs sociétés de voyageurs étaient arrivées, et retenues comme nous par la menace du temps et l’approche de la nuit, elles s’étaient emparées des chambres et avaient fait main-basse sur les provisions : il ne restait pour nous six qu’un grenier et une omelette.
L’omelette fut dévorée : puis nous procédâmes à la visite de notre chambre à coucher.
Il n’y avait vraiment qu’un aubergiste suisse qui pût avoir l’idée de faire coucher des chrétiens dans un pareil bouge ; l’eau qui commençait à tomber filtrait à travers le toit de planche, le vent sifflait dans les fentes des contrevents mal joints, seule clôture des fenêtres ; enfin les rats, que notre présence avait fait fuir, constataient par des grignotemens, dont le bruit ne pouvait échapper à des oreilles aussi exercées que les nôtres, leur droit de propriété sur le local que nous venions leur disputer, et leur intention de le reconquérir, malgré notre établissement, aussitôt que nous aurions soufflé les chandelles.
À l’aspect de cet infâme grenier, l’un de nous proposa de partir courageusement pour l’hospice le soir même. C’étaient trois heures de fatigue et de pluie, il est vrai ; mais au bout du chemin, quelle perspective !… Un souper splendide, un beau feu, une cellule bien close, et un bon lit.
La proposition fut reçue avec enthousiasme : nous descendîmes et envoyâmes chercher un guide. Au bout de dix minutes il arriva ; nous lui dîmes de recruter deux de ses camarades, et de se procurer six mulets, attendu que nous voulions le même soir aller coucher au grand Saint-Bernard.
— Au grand Saint-Bernard ! diable ! dit-il.
Et il alla à la fenêtre, regarda le temps, s’assura qu’il était gâté pour toute la nuit, exposa sa main à l’action du vent, afin de juger la direction dans laquelle il soufflait, et revint à nous en secouant la tête.