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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/311

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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

— Vous dites donc qu’il vous faut trois hommes et six mulets.

— Oui.

— Pour aller cette nuit au Saint-Bernard ?

— Oui.

— C’est bon, vous allez les avoir.

Et il nous tourna le dos pour aller les chercher.

Cependant les signes qu’il avait laissé échapper nous donnèrent quelque inquiétude ; nous le rappelâmes.

— Est-ce qu’il y a du danger ? lui dîmes-nous.

— Dam !… le temps n’est pas beau ; mais, puisque vous voulez aller au Saint-Bernard, on tâchera de vous y conduire.

— En répondez-vous ?

— L’homme ne peut promettre que ce que peut faire un homme : on tâchera ; cependant, si j’ai un conseil à vous donner, avec votre permission, prenez plutôt six guides que trois.

— Eh bien ! soit, six guides ; mais revenons au danger : quel est-il ? Il me semble que nous ne sommes point encore assez avancés en saison pour avoir à craindre les avalanches ?

— Non, si nous ne nous écartons pas de la route.

— Mais on ne s’écarte dans la route que lorsqu’elle est couverte de neige, et le 26 août ce serait bien le diable !

— Oh ! quant à la neige, voyez-vous, que ça ne vous inquiète pas, nous en aurons, et plus haut que vos guêtres… Voyez-vous cette petite pluie-là, qui est bien gentille ici ? eh bien ! à une lieue de Saint-Pierre, comme nous allons toujours en montant jusqu’à l’hospice, ça sera de la neige. — Il retourna à la fenêtre : — Et elle tombera dru, ajouta-t-il en revenant.

— Ah ! bah, bah ! Au Saint-Bernard !

— Messieurs, cependant, repris-je…

— Au Saint-Bernard : que ceux qui sont de l’avis d’aller coucher au Saint-Bernard lèvent la main.

Quatre mains se levèrent sur six. Le départ fut adopté.

— Voyez-vous, continua notre guide, si vous étiez des gens de la montagne, je dirais : C’est bon, en route ; mais vous êtes des Parisiens, à ce que je peux voir avec votre permission, et le Parisien, c’est délicat et ça craint le froid ; aussitôt qu’il a les pieds dans la neige, il grelotte.