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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/315

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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

remîmes en route, n’apercevant de chacun de nous, tant la nuit était noire que le point lumineux que chacun portait à sa bouche, et qui devenait brillant à chaque aspiration.

Cette fois il n’y avait plus ni chant ni cri, le rhum avait perdu son influence ; le silence le plus profond régnait sur toute la ligne, et n’était interrompu que par le bruit des encouragemens que nos guides donnaient à nos montures, tantôt avec la voix, tantôt avec le geste.

En effet, rien de tout ce qui nous entourait ne poussait à la gaîté : le froid devenait de plus en plus vif, et la neige tombait avec une prodigalité croissante ; la nuit n’était éclairée que par un reflet mat et blanchâtre ; le chemin se rétrécissait de plus en plus, et de place en place des quartiers de rochers l’obstruaient tellement, que nos mulets étaient forcés de l’abandonner et de prendre des petits sentiers, sur le talus même du précipice, dont nous ne pouvions mesurer la profondeur que par le bruit de la Drance qui roulait au fond : encore ce bruit, qui à chaque pas allait s’affaiblissant, nous prouvait-il que l’abîme devenait de plus en plus profond et escarpé. Nous jugions, par la neige que nous voyions amassée sur le chapeau et les vêtemens de celui qui marchait devant nous, que nous devions, chacun pour notre part, en supporter une égale quantité. D’ailleurs nous sentions à travers nos habits son contact moins pénétrant, mais plus glacé que celui de la pluie ; enfin notre chef de colonne s’arrêta.

— Ma foi, messieurs, dit-il, je suis gelé moi, et je vais à pied.

— Je vous l’avais bien dit, que vous seriez obligés de descendre, reprit notre guide.

Effectivement, chacun de nous sentait le besoin de se réchauffer par le mouvement. Nous mîmes pied à terre, et comme on y voyait à peine à se conduire, nos guides nous conseillèrent de nous accrocher à la queue de nos mulets, qui de cette manière nous offraient le double avantage de nous épargner moitié de la fatigue, et de sonder le chemin. Cette manœuvre fut ponctuellement exécutée, car nous comprenions la nécessité de nous abandonner à l’instinct de nos bêtes et à la sagacité de leurs conducteurs.

C’est alors que je reconnus la vérité de la relation de Balmat ; je ressentais, pour mon compte, le mal de tête dont il m’avait parlé,