ses éblouissemens vertigieux, et cette irrésistible envie de dormir, à laquelle j’eusse cédé sur mon mulet, et que la nécessité de marcher pouvait seule combattre. Il paraît que notre docteur lui-même l’éprouvait, car il proposa une halte.
— En avant ! en avant ! messieurs, dit vivement notre guide, car je vous préviens que celui de nous qui s’arrêtera ne repartira plus.
Il y avait, dans l’accent avec lequel il prononça ces paroles, une conviction si profonde, que nous nous remîmes en marche sans aucune objection. L’un de nous, je ne sais lequel, tenta même de nous rappeler à notre ancienne gaîté, avec ces mots consacrés qui jusqu’alors n’avaient jamais manqué leur effet : — A pas peur, Napoléon a passé par ici. — Mais cette fois la plaisanterie avait perdu son efficacité, aucun rire n’y répondit, et le silence inaccoutumé avec lequel elle était reçue, lui donna un caractère plus triste que celui d’une plainte.
Nous marchâmes ainsi machinalement et tirés par nos mulets pendant une demi-heure environ, enfonçant dans la neige jusqu’aux genoux, tandis qu’une sueur glacée nous coulait sur le front.
— Une maison ! dit tout à coup de Sussy.
— Ah !
Chacun abandonna la queue de son mulet, s’étonnant que nos muletiers n’eussent rien dit de cette station.
— Avec votre permission, dit le guide chef, vous ne savez donc pas ce que c’est que cette maison ?
— Fût-ce la maison du diable, pourvu que nous puissions y secouer cette maudite neige et poser nos pieds sur de la terre, entrons.
La chose n’était point difficile ; il n’y avait à cette maison ni portes ni contrevents. — Nous appelâmes, personne ne répondit.
— Oui, oui ! appelez, dit notre guide, et si vous réveillez ceux qui y dorment, vous aurez du bonheur !…
Effectivement personne ne répondait, et la cabane paraissait déserte : cependant, quelque ouverte qu’elle fût à tous les vents du ciel, elle nous offrait un abri contre la neige ; nous résolûmes donc de nous y arrêter un instant.