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force d’inertie d’autant plus admirable qu’elle lui coûte toute participation aux affaires, et qu’elle est sans espérance. C’est l’instinct de la patrie dans toute sa pureté. Vient ensuite le peuple conquérant, qui s’accroît chaque jour par le cours naturel des choses et par l’émigration du dehors ; puis enfin les débris des anciens maîtres du sol, ces Indiens qui s’en vont sans bruit, un à un, rejoindre leurs pères. Il y a là certainement de l’étoffe pour le romancier, quelque chose d’analogue à cette lutte des Saxons et des Normands qui domine tout le récit d’Ivanhoe. Voyons maintenant la nature morte : un pays à demi sauvage, des cultures éparses, des forêts vierges, un fleuve qui ne le cède à aucun autre sur la terre, des lacs comme des mers, enfin cette même création que vous avez vue dans le Dernier des Mohicans, les Pionniers, etc. Soit conscience de son impuissance, soit volonté ainsi arrêtée, l’auteur inconnu de Bellegarde s’est bien donné de garde de s’inspirer aux mêmes sources que Cooper ou Washington Irving. Il s’est borné mesquinement à nous offrir les amours très vulgaires de la fille du baron d’Argenteuil et d’un officier anglais, en entremêlant çà et là quelques ébauches des mœurs américaines, bien pâles et bien décolorées, je vous assure. Quant à Bellegarde, l’Indien à demi civilisé, l’enfant mal dompté des forêts, il n’est là que pour fournir à l’ouvrage son titre ; on ne l’aperçoit que de loin en loin, sans qu’il fasse ou dise rien qui puisse attirer quelque intérêt sur sa personne. Après cela, je rendrai, si vous voulez, justice au style naturel de l’auteur, à sa raison, à toutes ses autres bonnes qualités : c’est tout ce que je puis faire pour lui.

Pendant qu’il est question du Canada, j’appellerai votre attention sur le Tableau statistique et politique[1] que vient de publier M. Isidore Lebrun sur cette contrée, si mal connue en France. L’auteur n’a pas été sur les lieux ; on s’en aperçoit aisément à l’absence de ce je ne sais quoi qui s’attache à la pensée de l’homme qui décrit ex visu ; il ne possède peut-être pas non plus à un éminent degré l’art de disposer ses matériaux de la manière la plus lucide et la plus commode pour le lecteur ; mais ces défauts sont compensés par des renseignemens nombreux et des chiffres exacts. Il y a une instruction incontestable à retirer de la lecture de cet ouvrage.

Deux traductions viennent de paraître presque en même temps de le Mie Prigioni de Sylvio Pellico. Celle de M. Latour[2] que j’ai sous les yeux, me paraît excellente, et ne laissera rien à désirer à ceux qui ne peuvent jouir de l’exquise délicatesse de l’original. Bien des désappointemens ont eu lieu sans doute à l’apparition de ce livre. Les âmes ardentes qui se sont

  1. 1 vol. in-8o, chez Treuttel et Wurtz.
  2. Chez Fournier jeune.