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ANDRÉ DEL SARTO.
ANDRÉ.

Je l’ai vu ! laisse-moi.

LIONEL.

Qu’allez-vous faire, mon ami ? êtes-vous un homme ? Si votre femme se respecte assez peu pour recevoir chez sa mère l’auteur d’un crime que vous avez puni, est-ce à vous d’oublier qu’il meurt de votre main, et de troubler peut-être ses derniers instans ?

ANDRÉ.

Que veux-tu que je fasse ? oui, oui, je les tuerais tous deux. Ah ! ma raison est égarée. Je vois ce qui n’est pas. Cette nuit tout entière, j’ai couru dans ces rues désertes au milieu de spectres affreux. Tiens, vois, j’ai acheté du poison.

LIONEL.

Prenez mon bras, et sortons.

ANDRÉ, retourne à la fenêtre.

Plus rien ! ils sont là, n’est-ce pas ?

LIONEL.

Au nom du ciel, soyez maître de vous. Que voulez-vous faire ? Il est impossible que vous assistiez à un tel spectacle, et toute violence en cette occasion serait de la cruauté. Votre ennemi expire ; que voulez-vous de plus ?

ANDRÉ.

Mon ennemi ! lui, mon ennemi ! le plus cher, le meilleur de mes amis ! Qu’a-t-il donc fait ? il l’a aimée. Sortons, Lionel, je les tuerais tous deux de ma main.

LIONEL.

Nous verrons demain ce qui vous reste à faire. Confiez-vous à moi ; votre honneur m’est aussi sacré que le mien, et mes cheveux gris vous en répondent.

ANDRÉ.

Ce qui me reste à faire ? Et que veux-tu que je devienne ? Il faut que je parle à Lucrèce. (II s’avance vers la porte.)

LIONEL.

André, André, je vous en supplie, n’approchez pas de cette porte. Avez-vous perdu toute espèce de courage ? La position où vous êtes est affreuse, personne n’y compatit plus vivement, plus sincèrement que moi. J’ai une femme aussi, j’ai des enfans ; mais la fermeté d’un homme ne doit-elle pas lui servir de bouclier ? Demain, vous pourrez entendre des conseils qu’il m’est impossible de vous adresser en ce moment.