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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/499

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LES LOIS ET LES MŒURS.

dans les conditions des particuliers ; Moïse, qui ne voulait pas du commerce et de l’industrie, qui n’admettait dans sa cité politique que la religion, l’agriculture et la guerre, avait partagé d’avance la terre promise en un certain nombre de lots semblables, égal à celui des familles. Le véritable propriétaire de cette terre était Dieu : c’était Jéhovah, roi d’Israël. Le sol d’Israël appartenait à Jéhovah comme la terre d’Égypte à Pharaon. L’Hébreu qui le cultivait n’était que le fermier de Jéhovah. La propriété territoriale ainsi constituée, il s’agissait de maintenir l’égalité de fortune entre tous les Juifs, pour que tous fussent égaux sous le niveau de Dieu et de sa loi ; car telle était la pensée de démocratie théocratique qui faisait le fonds de la politique de Moïse. Pour les maintenir dans cet état, il déclara inaliénables ces biens partagés également entre tous ; il permit seulement de les vendre ou plutôt de les engager pour un temps, mais ce temps ne pouvait dépasser un demi-siècle, car après cet intervalle revenait l’année du jubilé, qui devait rendre à chacun la possession de son bien, et rétablir ainsi l’égalité.

Cette loi reposait, comme on voit, sur l’idée même qui est le fondement de toute la législation de Moïse ; divisant une terre qui n’était pas encore aux Juifs et qu’ils devaient conquérir, il n’a été gêné par aucune coutume, par aucun droit antérieur ; il a disposé du sol purement d’après ses idées. Eh bien ! il s’est trouvé que cette disposition était impraticable, et les plus fidèles zélateurs de la loi se sont dispensés d’obéir à une injonction trop contraire aux sentimens et aux mœurs naturelles des hommes.

Pour les preuves que cette partie de la religion mosaïque n’a pas été long-temps ou n’a jamais été en vigueur, on peut consulter Michaëlis, qui le démontre avec la dernière évidence.[1]

Ce n’est pas tout, le génie prophétique de Moïse avait compris que cette œuvre si forte n’était pas à l’abri des vicissitudes humaines ; et c’est un admirable passage du Deutéronome[2] que celui où il pressent que son peuple se pourra bien lasser de n’obéir qu’à Dieu, qu’un jour, malgré tout ce que le génie de Moïse aura fait pour lui conserver sa liberté en l’isolant des autres peuples, l’ennui de cette sainte liberté le prendra, et que, dans sa faiblesse, séduit par l’exemple, il voudra un roi comme le reste des nations. Moïse se résigne à cette dégradation de son peuple et à cet abaissement de sa théocratie, et il prescrit ce qu’il faudra faire quand ce triste jour sera venu. Qu’exige-t-il ? Si les Juifs veulent un roi, qu’ils le prennent, mais qu’ils le prennent parmi eux ; que ce

  1. Mosaisches Recht, t. ii, p. 54.
  2. Deutéronome, ch. xvii, v. 14 et suiv.