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qu’ils ne pleurent pas comme des enfans, sur les plaisirs qui leur échappent.

Disons-le simplement, cette tragédie prétendue n’est qu’une paraphrase laborieuse d’une toile envoyée il y a deux ans au Louvre, par M. Paul Delaroche. Or, le défaut du tableau est aussi celui de la tragédie. M. Paul Delaroche avait peint sur une toile de dix pieds un sujet dont la composition et les lignes convenaient tout au plus aux dimensions d’une aquarelle, M. Delavigne a délayé dans les trois actes d’une tragédie le petit nombre d’idées et d’images qui auraient pu suffire à défrayer une élégie. La toile de M. Delaroche était d’une couleur violette et fausse ; la versification de M. Delavigne est d’une élégance frelatée. Je dois même ajouter (et ceci, j’en suis sûr, va surprendre bien des croyans) que plusieurs fois l’illustre académicien a violé cavalièrement les lois du rhythme et de la grammaire. Je ne sais pas, par exemple, où il a vu que Londres se pouvait féminiser ; qu’Édouard était un mot trisyllabique ; que l’on pouvait protester une chose. Ce sont là, je le sais, des péchés véniels ; mais enfin M. Delavigne est académicien.

Si nous abandonnons les questions relatives à la vraisemblance, à la rapidité de l’action, à l’enchaînement et à la génération des scènes, pour aborder un problème plus général et plus élevé, celui de la vérité humaine des caractères, notre embarras sera grand pour reconnaître dans les acteurs de M. Delavigne, ceux qui décidaient, dans les dernières années du quinzième siècle, les destinées de la Grande-Bretagne. Je ne ferai pas à l’auteur des Messéniennes l’injure de lui rappeler le Richard iii de Shakespeare. Je ne lui proposerai pas de s’agenouiller devant l’image d’un dieu qui n’a jamais reçu ses prières. Mais, je lui demanderai si le duc de Glocester, qui n’a pas craint de prendre pour marche-pied deux têtes de rois, qui a éclairci sans pitié les rangs des plus illustres familles, pouvait trouver le temps de faire sur sa conduite et ses desseins d’ingénieux quolibets. N’était-ce pas avant tout et surtout un homme d’action bien plus que de parole ?

Est-ce que la reine Élisabeth ne doit pas opter entre le rôle de veuve et celui de mère, entre la couronne de son mari et la vie de ses fils ? Reine, elle doit soutenir la légitimité de leur naissance et