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QUITTE POUR LA PEUR.

LE DUC.

Et peut le donner, madame…

LA DUCHESSE (se levant).

Ah ! monsieur le duc, faites-moi grâce.

LE DUC (se lève tout à coup en riant).

Grâce ! madame, et de quoi grâce, bon Dieu ! — Ah ! je comprends ; vous voulez que je vous fasse grâce de mes complimens, de mes tendresses et de mes fadeurs. Eh ! je le veux bien. Tant qu’il vous plaira ! parlons d’autre chose.

LA DUCHESSE.

Quelle torture !

LE DUC.

Savez-vous de qui ces tableaux-là sont les portraits ? Je suis sûr que vous ne les regardez jamais. Ces braves gens cuirassés sont mes aïeux, ils sont anciens ; nous sommes, ma foi, très anciens, aussi anciens que les Bourbons ; savez-vous, mon nom est celui d’un connétable, de cinq maréchaux de France tous pairs des rois, et parens et alliés des rois, et élevés avec eux dès l’enfance, camarades de leur jeunesse, frères d’armes de leur âge d’homme, conseillers et appuis de leur vieillesse. C’est beau ! c’est assez beau pour que l’on s’en souvienne, et quand on s’en souvient, il n’est guère possible de ne pas songer que ce serait un malheur épouvantable, une désolation véritable dans une famille, que de n’avoir personne à qui léguer ce nom, sans parler de l’héritage qui ne laisse pas que d’être considérable. Cela ne vous a-t-il jamais affligée ?

LA DUCHESSE.

Eh ! monsieur, je ne vois pas pourquoi je m’en affligerais quand vous n’y pensez jamais. Après tout, c’est de votre nom qu’il s’agit, et non du mien.

LE DUC.

Eh ! quoi ! Élisabeth !

LA DUCHESSE.

Élisabeth ? vous vous croyez ailleurs, je pense.

LE DUC.

Eh ! n’est-ce pas Élisabeth que vous vous nommez ? Quel est donc votre nom de baptême ?