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REVUE DES DEUX MONDES.

LA DUCHESSE (avec tristesse).

Baptême ! le nom du baptême ! c’est vous qui demandez le nom que l’on m’a donné ! Je voudrais bien savoir ce qu’eût dit mon pauvre père qui tenait tant à ce nom-là, (vite) et vous, je ne vous le dirai pas, si quelqu’un lui eût dit : Eh ! bien ce nom si doux, son mari ne daignera pas le savoir.

Du reste cela est juste ! (Avec agitation.) Les noms de baptême sont faits pour être dits par ceux qui aiment et pour être inconnus à ceux qui n’aiment pas. (En enfant) Il est bien juste que vous ne sachiez pas le mien, et c’est bien fait… et je ne vous le dirai pas.

LE DUC (à part, souriant et charmé).

Ah ! çà ! mais comme elle est gentille ! suis-je fou de me prendre les doigts à mon piège ?

C’est qu’elle est charmante en vérité.

(Haut et sérieux.)

Eh ! pourquoi saurais-je ce nom d’enfant, madame ? qu’est-ce pour moi, je vous prie, que la jeune fille enfermée au couvent jusqu’à ce qu’on me la donne sans que je sache seulement son âge ? C’est la jeune femme connue sous mon nom qui m’appartient, celle-là seule est mienne, madame, puisque, pour la nommer, il faut qu’on me nomme moi-même.

LA DUCHESSE (se levant, vite et avec colère).

Monsieur le duc, voulez-vous me rendre folle ? Je ne comprends plus rien ni à vos idées, ni à vos sentimens, ni à mon existence, ni à vos droits ni aux miens ; je ne suis peut-être qu’une enfant ! j’ai peut-être été toujours trompée. Dites-moi ce que vous savez de la vie réelle du monde. Dites-moi pourquoi les usages sont contre la religion, et le monde contre Dieu. Dites-moi si notre vie a tort ou raison ; si le mariage existe ou non ; si je suis votre femme, pourquoi vous ne m’avez jamais revue, et pourquoi l’on ne vous en blâme pas ; si les sermens sont sérieux, pourquoi ils ne le sont pas pour vous ; si vous avez et si j’ai moi-même le droit de jalousie. Dites-moi ce que signifie tout cela ? Qu’est-ce que ce mariage du nom et de la fortune, d’où les personnes sont absentes, et pourquoi nos hommes d’affaires nous ont fait paraître dans ce marché ? Dites-moi si le droit qu’on vous a donné était seulement celui de venir