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VOYAGE DANS L’INDE.

scène nouvelle. J’avais plus vu de l’Orient ce jour-là que depuis un an que j’étais arrivé dans l’Inde.

Bain, toilette au retour. Le bain, c’est une outre d’eau froide qu’un serviteur vide en la faisant jaillir avec force sur la poitrine et les épaules ; la toilette, le plus léger vêtement de coton. Puis le dîner dans une tente immense illuminée comme une salle de bal. Les bouteilles tombaient comme dans le jour devant nous les lièvres et les perdrix. J’étais seul indigne à l’une et l’autre fête. Cependant j’y faisais de mon mieux. L’eau était prohibée, exclue. Les têtes faibles, les peureux, buvaient du bordeaux en place : il ne compte pas comme vin ; le Champagne lui-même n’est considéré que comme une agréable moyenne proportionnelle entre l’eau et le vin. Ce nom est réservé aux vins d’Espagne et de Portugal. La partie solide du dîner à l’égal de ce liquide pour la recherche et la profusion ; et pour que rien ne manquât à la soirée, qui dura jusqu’à minuit, au dessert, des comédiens persans, des mimes entrèrent, dont les prodigieux travestissemens nous obligèrent de quitter la table et de nous jeter à plat dos sur le tapis, pour rire avec moins de danger. Ceux-là congédiés, des danseuses firent leur entrée, elles chantent et dansent alternativement. Rien de si monotone que leur danse, si ce n’est leur chant ; celui-ci n’est pas sans art, et l’on dit que les éclats de voix qui dominent par intervalles le faible murmure plaintif qu’on entend à peine, plaisent d’une manière particulière à ceux qui ont oublié la mesure et la mélodie de la musique européenne. Je ne suis pas encore assez Indien pour cela. Mais leur danse est déjà pour moi la plus gracieuse et la plus séduisante du monde. Les entrechats et les pirouettes de l’Opéra me semblent auprès comme les gambades des sauvages de la mer du Sud, et le stupide trépignement des Nègres. Au reste c’est dans le nord de l’Hindostan que ces Nautehgirls sont le plus célèbres.

Le lendemain à cinq heures, le maître d’hôtel m’éveilla, comme la veille, avec une grande tasse d’excellent café moka, fait exprès pour notre ami le Français ; lestés de leur tasse de thé, mes amis Anglais m’attendaient déjà à cheval. Nous galopâmes à dix lieues en avant, et trouvâmes, comme la veille, toutes choses et toutes gens prêts à notre arrivée. Nos éléphans, dans la nuit, avaient porté l’autre suite de tentes, l’autre équipage de cuisine, etc.,